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Bruxelles-Kigali

Extraits de presse :


Film documentaire « Bruxelles-Kigali » projeté en Europe

Le 12 novembre dernier, après la projection du film Bruxelles-Kigali, dans le cadre du Festival FILMER A TOUT PRIX, avec brio, la réalisatrice et femme de théâtre Marie-France Collard continue son travail au long cours sur le génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda.
Le correspondant d’IGIHE.com en Belgique, Aimable Karirima Ngarambe, a interviewé Marie France Collard.
 
Après plusieurs films liés à la pièce de théâtre Rwanda 94 du Groupov, Marie France Collard vient de réaliser cette fois un poignant film de procès à la cour d’assises de Bruxelles, lors du jugement par contumace, en novembre 2009, d’Ephrem Nkezabera, banquier et dirigeant des milices extrémistes hutues. Pour les victimes, dire l’horreur absolue et être entendues est une étape fondamentale de leur reconstruction.
IGIHE.com : Comment vous avez eu l’idée de travailler sur les problématiques du génocide des Tutsis du Rwanda ? Avec quelle motivation ?
Marie-France C : L’idée que nous avons eue, Jacques Delcuvellerie et moi, à l’initiative du Rwanda 94, de prendre comme sujet d’une création théâtrale le génocide perpétré contre les Tutsis vient d’une double révolte, au moment des faits. Révolte devant le génocide lui-face, l’ampleur des massacres perpétrés dans l’indifférence, la passivité, voire la complicité de la communauté internationale et révolte face aux mensonges des media, à la manière dont l’information nous parvenait, contradictoire, minimisant les faits, les relatant avec des propos emprunts d’analyse raciste. Nous devinions aussi qu’il y avait là des enjeux géostratégiques prêts à sacrifier la vie de centaines de milliers de personnes.
Avec la pièce, nous avons voulu, en premier lieu, rendre voix et visage aux victimes, passées quasiment inaperçues, montrer que le génocide, c’était 1 million de fois une personne, avec son histoire particulière, sa vie, sa famille, rendre ainsi aux victimes l’humanité qui leur avait été déniée pendant le génocide. Ensuite, il nous fallait « balayer devant notre propre porte », interroger les responsabilités occidentales dans ce qui a été appelé, par après, le 3ème génocide du 20ème siècle. Enfin, les media méritaient aussi d’être sur le banc des accusés, à travers la partie fictionnelle, qui met en scène une journaliste de télévision, pendant la préparation, en 1995, à la date anniversaire du génocide, d’une émission traitant du génocide, émission qui n’aura jamais lieu... Petit à petit, l’objectif du spectacle s’est ainsi précisé comme une tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants, ce qui impliquait que notre travail tente de répondre à la question du pourquoi : Pourquoi est-ce arrivé ? Pourquoi tous ces morts ? Non pas seulement un travail de deuil et de déploration, mais aussi d’interrogation sur les motifs de leur assassinat.
IGIHE.com : Après la pièce « Rwanda 94 » et le documentaire « A travers nous, l’humanité… » Vous avez rencontré des rescapés du génocide au Rwanda. Aujourd’hui votre film « Bruxelles-Kigali » est sorti et basé sur le tribunal et jugement sur les bourreaux, quel est le message que vous voulez donner au public ? Pensez-vous qu’il ya un soulagement envers les rescapés ?
Marie-France C : Une des questions qui se pose aujourd’hui de manière cruciale est d’abord celle de la justice et de l’impunité. Après une telle déchirure d’humanité, une société ne peut se reconstruire sans justice et d’une certaine manière, le génocide de 1994 a aussi pu avoir lieu parce-que les massacres qui l’ont précédé depuis 1959 sont restés impunis, donnant comme message à plusieurs générations que, au fond, il n’y a aucun risque à tuer des Tutsis. Après le génocide, comme vous savez, beaucoup de suspects ont fui le Rwanda et se retrouvent aujourd’hui dans différents pays. Le TPIR clôture ses travaux en 2014, 70 affaires y auront été traitées et, à l’heure actuelle, plus aucun dossier n’y est ouvert.
La Belgique a été pionnière en matière de compétence universelle. Le procès d’Ephrem Nkezabera, était le 4ème procès. Au total, 8 personnes y ont été jugées. C’est très peu. Et dans les 5 autres pays qui ont entrepris de juger des suspects, c’est encore moins, en France, on attend toujours...
Le crime de génocide, en droit, est imprescriptible. Aujourd’hui encore, on juge des responsables nazis. Que va-t-il se passer pour le génocide des Tutsi ? Une situation d’impunité de fait ?
De plus, aucune réparation n’a été, à ce jour, prévue pour les victimes, aucun fonds d’indemnisation n’a été mis en place, comme c’est le cas pour les rescapés juifs.
Il doit y avoir un soulagement pour les rescapés de savoir qu’un dirigeant des interahamwe a été jugé, même s’il meurt « judiciairement » innocent, suite à l’opposition qu’il a faite à son jugement et qu’il décède avant la tenue d’un second procès. Les débats ont eu lieu, et ils ont eu lieu en public. Certains rescapés s’expriment dans ce sens, d’autres, sans doute, pensent autrement...
IGIHE.com : Vous avez eu l’occasion d’approcher quelques rescapés qui vivent ici en Belgique et au Rwanda, comment vous trouvez leur vie quotidienne, 18 ans après le génocide surtout ceux qui cohabitent avec leurs bourreaux ?
Marie-France C : Pour toute personne ayant perdu des proches, vivre à côté des assassins, et particulièrement des assassins des membres de sa propre famille doit être extrêmement douloureux. En Belgique, où les rencontres sont moins fréquentes, les croiser dans un magasin, les transports en commun ou ailleurs, est également bouleversant, ravive le passé douloureux, alors que peut-être on a choisi l’exil pour chercher une tranquillité. Comment trouver alors « la paix du cœur » ? Comme le dit une rescapée dans le film. Cela l’est d’autant plus pour ceux et celles qui militent pour que justice soit rendue, qui se constituent partie civile, portent plainte et témoignent publiquement, au risque de représailles diverses.
Il me semble que, pour les rescapés, plus le temps passe, plus la douleur s’aiguise... face, sans doute aussi aux déceptions rencontrées, au peu de choses concrètes mises en place pour eux, au manque de reconnaissance et à leur marginalisation, sans parler de toutes les blessures physiques qui nécessitent encore aujourd’hui des soins coûteux que peu d’entre eux peuvent s’offrir, surtout au Rwanda ... Je me dis parfois qu’ils rencontrent la même indifférence que celle qui a marqué le déroulement du génocide, et cette indifférence me révolte autant que nos révoltes premières.
IGIHE.com : Vous comptez d’aller montrer ce documentaire aussi au Rwanda ? Si oui, ça sera où ? Quand ? Et quelles sont les personnes seriez-vous en contact ?
Marie-France C : Nous n’avons, à l’heure actuelle, pas de contact pour le présenter au Rwanda, c’était, jusqu’à aujourd’hui, un peu tôt pour penser à cela.
Le film, dans sa version française, vient à peine d’être terminé. Nous préparons l’édition DVD, avec sous-titrage anglais. A partir de là, le film peut vivre seul et voyager... Et nous pouvons répondre aux invitations...
IGIHE.com, Aimable Karirima, 15/11/2011
 

 

 

Bruxelles-Kigali : quand victimes et bourreaux cohabitent

Le carnet de Colette Braeckman, http://blog.lesoir.be/colette-braeckman, 13/11/2011

 

Merci Marie-France Collard… Alors qu’il s’éloigne dans le temps, le génocide rwandais paraît de plus en plus désincarné. Il se réduit à des statistiques (800.000, ou un million de morts ?) à des accusations croisées empreintes révisionisme (qui a tué le plus ?), à des spéculations sur l’attentat contre l’avion, comme si ce crime avait été le seul déclencheur de la tragédie. On en oublie que les victimes étaient des hommes, des femmes qui auraient pu être nos voisins, des enfants qui auraient pu jouer avec les nôtres dans le jardin d’à côté et que les tueurs étaient des gens que nous aurions pu saluer poliment chaque matin en leur demandant des nouvelles de la méteo…

Les Rwandais, victimes et bourreaux, c’étaient des gens comme nous, intellectuels ou paysans, dirigeants politiques, militants ou chefs de famille. Des gens qui se sont retrouvés pris au piège de la haine, qui ont tué, qui sont morts, ou qui ont fui… Aujourd’hui, nombre d’entre eux se retrouvent en Belgique. Ils se côtoient, se reconnaissent, se saluent parfois et se souviennent de la terreur d’autrefois…

Marie-France Collard les a retrouvés à l’occasion du procès d’Ephrem Nkezabera. La Cour d’Assise s’est tenue en l’absence du prévenu  car en 2009 il était gravement malade et est décédé depuis. S’il ne comparut pas devant la Cour d’Assisse,  il eut cependant  le temps de répondre aux enquèteurs et son procès a livré bien des informations sur la préparation du génocide, sur les intellectuels et les financiers. Marie-France Collard, caméra attentive, questions discrètes et empathiques, a permis aux victimes  et à leurs proches de s’exprimer. Les victimes… De loin, on pouvait les voir, aux premiers rangs du public dans ce procès négligé par la foule des grands jours. Elle était là, Martine Beckers, à évoquer la mémoire de sa sœur et de son beau frère assassinés, elle était là, Immaculée,  à compter sur les doigts d’une main ceux de sa famille qui lui restent…. Elles étaient là, d’autres femmes encore, à parler du viol, de ces violences abjectes qu’il est si difficile de nommer…Marie-France Collard a posé les questions essentielles : au-delà du souvenir et de cette souffrance qui ne s’éteindra jamais, où en est le pardon ? La réponse a été brutale, sans concessions : pourquoi accorder le pardon à celui qui ne vous demande rien ? A celui qui, sans doute, est prêt  à recommencer ?

Au Rwanda, où la réconciliation a droit de cité, de telles questions relèvent du tabou et ne reçoivent, tout au plus, que des réponses obligées, sinon imposées. En Belgique, la parole est plus libre et « Bruxelles-Kigali »  un film co produit par Cobra  et Zeugma films et la RTBF a enregistré au plus près les sentiments réels, les contradictions de l’après génocide. Curieusement, si à Kigali règne la volonté, à Bruxelles, c’est la vérité pure et dure qui a prévalu et elle donne des  frissons…

 

 

 

S’acquitter de sa dette vis-à-vis de ses morts

Karin Tshidimba, La Libre Belgique, 09/11/2011 
 
C’est le rôle que se sont assignés les rescapés du génocide rwandais. En se portant partie civile lors des procès belges. “Bru- xelles – Kigali”. Arte, 22h20

La justice ramène le droit là où il avait cessé d’être et l’humanisme là où il n’y avait plus que la barbarie", entend-on dire durant le procès d’Ephrem Nkezabera, l’un des chefs des milices Interahamwe, à la base du génocide de 1994 au Rwanda.

"Mais quelle justice humaine pourra se montrer à la hauteur d’actes totalement inhumains ?", interroge l’une des rescapées. Ainsi posée, même après le prononcé du verdict devant la Cour d’Assises de Bruxelles, reste, pour toutes les victimes, la difficile équation de la reconstruction. Avec ou sans pardon. "Tenter de faire le deuil de son enfance, de ses parents, de sa famille. Aller de l’avant sinon cela te ronge toute la vie."

Repartant du procès, tenu en 2009 et suivi pas à pas, la réalisatrice Marie-France Collard recueille patiemment les paroles de tous ceux qui ont décidé de se porter partie civile. Ce sont leurs questions et leurs observations qui font la valeur de son film Bruxelles-Kigali H H. Car on connaît les chiffres et la réalité du génocide rwandais. Mais au-delà des 800000 à un million de morts, Tustis et Hutus modérés, ce film permet d’approcher, plus de quinze ans après les faits, le quotidien et la réalité des rescapés. Ces personnes qui, pour la plupart et pour de multiples raisons, ne se voient pas retourner dans un pays où ne subsistent que des ruines et de cruels souvenirs.

"Aujourd’hui encore, nous marchons la tête baissée, nous n’avons pas retrouvé la paix du cœur." Et comment le pourraient-ils alors que des centaines de génocidaires circulent toujours, en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs ? Certains ont été localisés en France, au Canada, en Grande-Bretagne et sont d’ailleurs fichés par Interpol. Mais que faire lorsque vous êtes amenés à les croiser dans la ville étrangère où vous étiez venus vous réfugier ?

"Ils ont des craintes pour leur sécurité, s’ils retournent au Rwanda, mais nous aussi. Et, en tant que réfugiés, nous sommes traités de la même façon, cela me choque", confie une autre rescapée devenue Bruxelloise.

 

Pourtant, la Belgique est, avec la Suisse, le Canada, la Finlande, les Pays-Bas et l’Allemagne, l’un des six pays, en dehors du Rwanda, à avoir jugé des personnes impliquées dans le génocide rwandais. Bien avant le procès d’Ephrem Nkezabera, cofondateur de la fameuse radio-télévision libre des Mille collines, trois autres procès ont déjà eu lieu sur notre territoire, en 2001, 2005 et 2007 qui ont conduit à la condamnation de sept personnes.

 

Le film rappelle, fort à propos, que les discriminations et la tension latente entre ethnies étaient connues de tous, bien avant 1990. Mais aussi que la fin des travaux du Tribunal pénal international du Rwanda (TPIR) est prévue en 2014. Jusqu’ici, un peu plus de 70 affaires y ont été jugées sans aucune réparation prévue pour les victimes. De quoi rendre l’avenir hypothétique, aux yeux de certains

Ces questions, épineuses, douloureuses, seront certainement au centre du débat qui suivra la diffusion du film sur Arte Belgique. Outre la réalisatrice, Hadja Lahbib y recevra notamment Pauline Kayitare, rescapée et auteure du livre "Dis-leur que tu es hutue".

Karin Tshidimba, La Libre Belgique, 09/11/2011