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Maurice Taszman, le Passeur

13 - 08 - 2022


 

Maurice Taszman, le Passeur.

 

C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Maurice Taszman.

Né à Bruxelles en 1934, Maurice, pendant plus de 60 ans, fut un des plus remarquables passeurs entre tout ce qui s’inventait sur les scènes de théâtre allemandes et le monde francophone. Je parle bien des plateaux et pas seulement des œuvres écrites. Car s’il nous a laissé de merveilleuses traductions et des commentaires éclairants d’auteurs dont il fut aussi l’ami (d’Heiner Müller à Lothar Trolle en passant par George Tabori), Maurice fut également un témoin-intervenant, actif dans les pratiques expérimentales initiées par Benno Besson à la Volksbühne dans les années 70, et dans les mises en scène en France et en Allemagne, d’écrivains contemporains. En Belgique, on se souvient, bien sûr, de sa collaboration étroite avec Philippe Van Kessel, entre autres.

 

Sa longue et passionnante interview à laquelle nous renvoyons ci-dessous[1] révèle à la fois une part ici bien mal connue de la création en RDA et diverses facettes de sa propre personnalité.

 

L’influence d’Heiner Müller sur le jeune Groupov dans les années 80, puis la place prépondérante que tint ensuite dans nos créations « l’art d’hériter » de l’œuvre brechtienne, rendirent nos ponctuelles rencontres avec Maurice particulièrement fructueuses. Je me souviens que dans ces longues conversations (il n’en existait guère d’autres avec lui) se révélaient son insatiable curiosité, son érudition pointue et originale, son ironie et même l’aspect un peu taquin d’une intelligence toujours prête à tendre des chausse-trappes ou à feindre le contre-pied, et en même temps une tranquille et imperturbable fidélité aux valeurs qu’il s’était construites depuis sa jeunesse.

 

A titre personnel, j’écoutais et j’apprenais de Maurice - comme j’ai écouté et appris d’Arlette Dupont - par ce qu’il disait, ce qu’il écrivait, mais tout autant par ce dont témoignaient d’histoire vivante du siècle, ses émotions, son rire, sa discrétion et toute son attitude. Je ressentais avec joie cet être humain, intellectuellement sur le qui-vive et aiguisant sans cesse sa lucidité, comme une personne profondément bonne.

 

Enfin, souvenir indélébile pour le Groupov, Maurice fit en notre faveur une exception radicale. Dans cette création extrêmement risquée, Anathème, il accepta non seulement, de monter comme acteur sur le plateau, mais de s’y déshabiller, et, avec ses dix-sept camarades, d’y demeurer entièrement nu très longuement et presque immobile, comme dans un espace concentrationnaire anonyme, pendant que résonnait puissamment la parole de ce Dieu terrible, l’Unique, l’Éternel. Et ce qui prouve la force de son adhésion artistique à notre entreprise, il le fit non seulement au Festival d’Avignon (Cloître des Célestins, 2005) mais dans les représentations ultérieures.

Je suis encore aujourd’hui profondément remué au souvenir de l’amitié, la disponibilité, l’investissement émotionnel, du courage et de la dignité dont il a fait preuve en cette circonstance. Une générosité et même une certaine capacité au don de soi dont bien des « athlètes de la dialectique » se recommandant de Brecht se révélèrent si souvent amputés. Pour adresser ici un clin d’œil à sa mémoire, disons, sur ce plan, Maurice : une Exception à la Règle… 

 

Le Groupov a adressé du fond du cœur ses condoléances à son fils Philippe – notre administrateur pendant plus de 15 ans – et à son épouse, Providence. Il était inutile de les assurer que nous garderons précieusement sa mémoire, il nous serait simplement impossible d’oublier Maurice Taszman.

                                                                                  

 

Jacques Delcuvellerie

 

 



[1] La Volksbühne des années 1970 : une institution rebelle à Berlin-Est

Maurice Taszman, entretien réalisé par Charlotte Bomy.
Berlin, 9 septembre 2012 – Cahiers germaniques 64/2013

 

 


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