- Une partie de ce paysage est perceptible dans ce qui s'est déjà énoncé plus haut, la conviction intime d'une fin des conceptions du monde totalisantes et donc de points de vue à partir desquels organiser une représentation scénique, puisqu'elle est toujours, de facto, qu'elle le veuille ou non, une représentation du monde, fût-elle surréaliste ou même absurde. Tout ceci est beaucoup plus explicitement formulé dans divers textes tels que : De la maladie, une arme.
- Nous ne pouvions rien reconnaître du sentiment d'urgence et de déréliction qui nous soulevait, dans les entreprises d'art dramatique qui perpétuaient la tradition. C'est-à-dire : l'accession à la vie scénique d'un texte. Il n'y avait pour nous aucune différence de nature entre une mise en scène de Molière à la Comédie Française, ou une autre, scandaleuse, par Planchon, ou celle d'un auteur vivant, par exemple Koltès, par Chéreau. Une différence de vie, de méthode et d'intérêt, certes. Une différence de nature, non. En revanche, nous nous échangions des traces écrites ou iconiques, nous regardions ensemble films et vidéos, nous faisions des expéditions vers des scènes lointaines, pour éprouver que notre désir n'était pas entièrement chimérique. Le Groupov avait des "référents" qui jouaient un rôle stimulant dans sa pratique, mais aussi, dans la vie quotidienne de ses membres, en dehors du travail. La découverte, l'échange, le partage de ces expériences nous aidaient à mieux sentir et situer progressivement notre propre différence. Presque aucun de ces "référents" n'appartenait au monde du théâtre et, quand c'était encore le cas, se tenaient à son extrême limite, tel le Grotowski postérieur à son aventure créatrice au Laboratoire de Wroclaw, dans sa phase "Culture Active", Projet Montagne, Théâtre des sources, etc. ; ou encore le Tadeusz Kantor de La Classe Morte ; mais aussi performer solitaire et créateur "d'installations" ; le travail de Richard Schechner avec le Performance Group, puis le Wooster Group ; et la révélation que fut pour nous le Squat Theater, ses expériences en Hongrie, puis l'inoubliable Andy Wharhol's last love. Quelques autres artistes dont la coexistence dans nos imaginaires peut aider le lecteur d'aujourd'hui à refaire "palpiter" ce paysage mental : le Groupe Fluxus, notamment Josef Beuys, Wolf Vostell, Robert Filliou ; Nam June Paik avec Charlotte Moorman ; de nombreux performers (hommes et femmes) et vidéo-performers tels Ulay et Marina Abramovic; les Activistes Viennois, en particulier Herman Nitsch, et nous connaissions de près plusieurs personnes ayant vécu dans une des communautés AAO (Aktion Analystische Organisation) d'Otto Muehl. Nous étions aussi fascinés par certaines pratiques mystérieuses des Situationistes et de ce qu'on croit savoir du groupe Acéphale de Georges Bataille ; nous écoutions, recherchions les traces visuelles et sonores et parfois réussissions à participer aux événements de musique contemporaine activement scéniques : Kagel, Berio, Globokar, Musica Electtronica Viva (MEV), l’Art ensemble of Chicago, le 1er Velvet Underground à la Factory d'Andy Warhol, le Musicircus de John Cage, le Mdi/Minuit d'Henri Pousseur, Laurie Anderson, Tuxedomoon avec Winston Tong, etc...
Mais il est essentiel de redire que ces repères entretenaient notre rêve éveillé de faire advenir de "l'inouï" hic et nunc, mais sans entraîner aucune forme d'adhésion conceptuelle collective, ni d'identification artistique. Les contextes historiques et culturels différaient par trop de notre propre environnement et de notre singulière solitude. Et surtout, à la différence de plusieurs de ces "référents", un fantôme d'une toute autre nature rôdait encore au Groupov. A peu près tous ses membres, à un moment donné ou l'autre, à la fin des années 60 et surtout dans les années 70, avaient vécu une expérience "militante" plus ou moins intense ou longue, ou éprouvé des révoltes et des sympathies à caractère "révolutionnaire". Pour ne prendre qu'un exemple parmi les membres fondateurs, le cadavre squelettique d'Holger Meins et la figure d'Ulrike Meinhof hanteront longtemps Francine Landrain. Spectres qui se réveillaient parfois au cours même des émotions artistiques partagées, par exemple dans : Moi Ulrike, je crie, de Dario Fo et Franca Rame, ou avec le Squat Theater organisant la rencontre de Ulrike Meinhof et Andy Warhol... On en concluerait très mal que Groupov était une reconversion de terroristes dilettantes en herbe. Nous ne l'étions pas plus que le Dario Fo ou le Jim Jarmusch de l'époque. Mais de tous les deuils dont le collectif procédait, c'était assurément le plus difficile à faire : celui de ne plus se vivre comme intervenant et participant à la transformation nécessaire d'un monde dont l'état nous paraissait toujours aussi révoltant.Nous n'allions pas nous lancer dans le théâtre de rue comme le Bread and Puppet, ni animer du théâtre-forum comme Augusto Boal, mais nous n'étions pas non plus passés de l'espérance militante à l'indifférence politique. En aucun cas. Simplement, nous étions comme des enfants tout à fait perdus...
Et donc, à son plus haut degré de réflexion théorique et de mise en forme, Brecht ne nous semblait pas non plus si facile à reléguer au musée des illusions perdues. Pas, en tout cas, avec la légèreté de tous ceux qui - en France - après l'avoir si mal copié, le décrétaient obsolète... Nous ne connaissions pas Brecht en profondeur en ce temps-là, cependant il nous paraissait, lui aussi, appartenir aux héritages fracassés dont les restes constituaient notre présent.
Pourtant, un des premiers textes du Groupov, parlant de la scène de théâtre, dit :
La scène était jadis théâtre du monde. Il n’y a pas si longtemps certains croyaient que "l’Homme y figurerait l’avenir de l’Homme ". Quand il n'y a plus de vision du monde même en crise, même absurde, quand donc la mémoire elle-même se désorganise et que le langage fait défaut, alors qu'en est-il de la scène, "figure du monde" ? (in Sur la Limite, dans Sur la limite, vers la fin page 56)
La chose est ici exprimée avec douleur, tel un deuil à faire irrévocablement. C'est ce point de vue qui sera remis en question à partir de 1988. Et c'est ce qui distingue les phases II et III de cette phase initiale.
Ce paysage mental de 1980 à 1988, avait des conséquences très concrètes sur notre pratique artistique dans l'Atelier de Recherches Permanent sur Les Restes. Puisqu'aucune conception du monde cohérente ne nous semblait plus recevable ni opérante, nous nous trouvions également en désaccord avec les codes esthétiques en vigueur. Ce refus s'exprimait ainsi :
L’écrasante majorité des pratiques théâtrales en exercice adhèrent au même credo esthétique.
Aussi diversifiées que soient les idéologies dont elles se recommandent et les réalisations qu’elles engendrent, des théâtres nationaux (fixés au répertoire) à Bob Wilson, Kantor, ou le buto japonais, il est frappant de constater que les mêmes critères peuvent être employés qui définissent la qualité :
la cohérence de la dramaturgie;
la maîtrise de la forme;
l’aboutissement d’une intention tendant vers la perfection de son accomplissement ;
la beauté de l’acte scénique résultant de ce travail;
une haute exigence de rigueur technique.
Nous pensons que ces critères reflètent l’assurance d’un savoir, ou même d’un questionnement, qui nous semble totalement inadaptée à l’expression artistique d’aujourd’hui, de même qu’à la situation résiduaire du théâtre dans les formes de communication moderne. (in Sur la Limite, dans Sur la limite, vers la fin, page 57)
Par conséquent, les recherches du Groupov s'orientaient tout autrement. Il est significatif qu'une des premières acquisitions de nos expériences pour tenter de faire coexister dans un même espace/temps les êtres issus des Écritures Automatiques d'Acteurs, fut appelée : le schéma-déception. Schéma comportemental en 5 phases basé sur un état préalable d'hypersensibilité des actants et qui empêchait explicitement toute invention hardie et fulgurante d'aller au bout d'elle-même, mais la déroutait avant cette acmé par une défection vers d'autres disponibilités. Décevoir n'est pas d'ordinaire ce qu'on propose à l'acteur au moment où il semble s'envoler.
Au demeurant, le profond sentiment de déréliction de ces débuts n'entraînait en rien le collectif dans une mélancolie nostalgique, passive ou morbide. Le 1er Groupov vivait dans une sorte de désespérance extrêmement énergique, mais en même temps, sa violence s'exprimait comme au "ralenti". Tels des êtres qui s'engagent dans un territoire réellement inconnu et si dangereux que le moindre geste inconsidéré peut être fatal. Et, il y eut, en effet, quelques sérieux accidents de parcours qui nous furent de dures leçons.
On trouvera sur ce site à la rubrique Textes et Publications des articles plus explicites sur cette toile de fond idéologico-esthétique" de la Phase I : De la maladie, une arme ; Constantin Gavrilovitch, Sur la Limite, etc.
GROUPOV 1980. UN TRIPLE CHAMP D'INTERVENTION.
Depuis sa naissance, et sur ses quatre décennies, le Groupov a toujours mené conjointement, mais à des degrés divers selon ses phases, trois types d’activités :
- Des recherches purement expérimentales, ayant donné lieu ou non à des présentations publiques.
- Des créations, sous forme de films, de concerts, d’œuvres éditées ou de représentations à caractère théâtral. La très grande majorité de ces œuvres étant « originales », c’est-à-dire entièrement conçues et élaborées par le Groupov. Quelques-unes, pour des raisons précises, appartenaient au répertoire classique ou contemporain (Claudel, Brecht, Heiner Müller)
- Une réflexion théorique permanente du collectif sur sa propre pratique et la situation de celle-ci dans le cadre général de la « société du spectacle »(Debord). Cette réflexion par lectures partagées, conférences, lettres et débats internes, s’est également exprimée par de nombreuses communications externes dans des colloques internationaux (dès 1985 à Barcelone), des universités, des lieux de formation et de recherches, (California Institute of Arts, par exemple) etc. Tout ceci, remises en question internes et contributions externes, a donné lieu à de nombreuses publications dans des revues spécialisées, ou des livres thématiques. (1)
Si l’on suit la ligne du temps du Groupov, on peut la séquencer en cinq différentes phases.
PHASE I (1980/1988)
L’Atelier de Recherche Permanent sur les Restes a été tissé d’expériences radicales fondatrices. Notamment la pratique dans tout notre parcours ultérieur de l’EAA (Écriture Automatique d’Acteur), les Ateliers Ici/Maintenant, les premiers grands Décalages.
Les créations majeures et purement expérimentales des premières années sont :
Rétrospectivement, le Groupov a toujours préféré le deuxième de ces trois titres et c'est sous cet intitulé qu'il est référencé dans la rubrique "Spectacles" de ce site.
Il s'agit, dans les trois cas, de la même structure événementielle partiellement aléatoire, d’une durée de 5h40 à 6h. Proposée à un « public » limité après un an et demi de recherches en vase clos. Une première fois à Ans-Palace (Liège), locaux vides d’un ancien cinéma situé à l’arrière d’un café, et flanqués d'un bout de terrain vague (mai 1981). Deuxième présentation sur le même site (octobre 1981). Dernières présentations à la Raffinerie du Plan K (Bruxelles), ancien site industriel, encore à l’état d’abandon à l'époque.
Comme il s'agit du Ier événement public/privé (sur invitation) de l'histoire du Groupov, nous donnons à titre indicatif une évocation de son déroulement.
Chronologie des actions lors de la présentation du Groupov, Ans-Palace, 31 octobre 1981
17h : Entrée des spectateurs (une trentaine, pas plus).
Accueil dans un local minuscule et obscur par une bande enregistrée sur cassette, appareil visible sur pupitre, seule présence :
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs... Messieurs,
La troisième guerre mondiale arrivera certainement. L’enchaînement des événements qui doit conduire à cette catastrophe n’est plus seulement prévisible : il est en cours. Nous pouvons supposer que l’espèce humaine aura des survivants, mais rien de ce que nous connaissons aujourd’hui ne subsistera.
Cette situation nouvelle dans notre histoire modifie jusqu’à un certain point nos sentiments et nos idées envers la pratique artistique. Le théâtre, en particulier, s’accorde singulièrement à ces temps troublés puisqu’il constitue lui-même un morceau d’histoire démodé, et nous faisons choix avec lui de parler aujourd’hui au petit nombre.
(entrée de quatre personnes relativement étranges, se dispersant parmi les invités).
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs... Messieurs,
Le Groupov est ému et heureux de votre visite ce soir. Permettez-moi en son nom de vous souhaiter la bienvenue en ces locaux. Notre rencontre sera longue et malaisée. Nous espérons que la courtoisie et le tact, dont vous appréciez certainement comme nous toute la valeur en ces jours difficiles, présideront jusqu’au bout à notre réunion.
Nous vous proposons à titre de premier passe-temps de louer un des acteurs qui sont mis ici à votre disposition. En versant à l’un d’eux la somme de cent francs, vous serez assuré de la jouissance de cet acteur pour la durée d’une demi-heure. Votre location ne vous donne pas l’exclusivité. Chaque acteur sera probablement sollicité par plusieurs spectateurs. Nous supposons qu’ils organiseront collectivement leur location. Cette somme couvre également le prix de votre entrée, de la restauration et des boissons qui vous seront servies. Nous pensons que c’est un prix raisonnable. Plus tard, si vous le désirez, vous pourrez à nouveau louer un acteur, mais le paiement ne s’effectuera plus en argent.
Veuillez considérer maintenant la question du choix de l’acteur. Cette décision influence tout le déroulement de notre rencontre. Essayons de ne pas nous contrarier dès le début. Agissons avec délicatesse et responsabilité.
Ceux qui ne désirent pas du tout louer un acteur doivent s’en aller maintenant. Nous ne désirons pas qu’ils restent.
Vous avez maintenant trois minutes pour examiner les acteurs, réfléchir, et fixer votre choix.
(Bruit blanc, trois minutes)
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs... Messieurs,
Le temps imparti à votre réflexion est écoulé. Veuillez maintenant choisir un acteur en vous portant près de lui, et effectuer le paiement des cent francs nécessaires.
Nous vous remercions à nouveau pour votre présence, votre compréhension et votre prudence. Et nous vous souhaitons une excellente soirée.
17h15
: Location. Les acteurs remettent l’argent à Jacques Delcuvellerie ou Éric Duyckaerts. Les acteurs «loués» sont avec les spectateurs dans des locaux séparés.
17h45 :
Fin de la location. Les acteurs font entendre un fragment du texte En route vers l’île de Gabriola d'Éric Duyckaerts.
17h47
: Tous les spectateurs sont regroupés dans un même local. Une actrice, un grand miroir brisé, un mini-cassette, un écran vidéo. Démonstration-ov intitulée Some act («avec ce que nous avons, faire avec»).
18h15
: Fin de la démonstration. L’actrice se dévêt un peu (buste nu vu de dos, et elle sort par le terrain vague, scène à peine entrevue du vent et du feu)
18h17
: Les spectateurs sont seuls, on sert des apéritifs. Première pause-ov.
18h22
: Une actrice qui s’égare revient dans la salle un moment. On la reconduit.
18h30
: Repas. Les spectateurs pénètrent dans une autre salle, sur leurs chaises, il y a des sachets plastiques contenant des sandwiches, au sol des boissons. En face, les acteurs disposés en tableau et une longue table pleine de provisions alimentaires ordinaires. Quelques petits accessoires. Un temps. Un spectateur est invité par Jacques Delcuvellerie à s'asseoir sur le plateau dans l’espace des acteurs... Puis certains mangent ou non de part et d’autre.
19h30
: Beaucoup de choses ont été bouleversées. Il y a un noir complet, on entend le chant de clochard répétitif et l'orchestration de Gavin Bryars : Jesus Blood never failed me yet. Certaine lumière. Des jeux n’aboutissent pas.
20h
: Fin de la musique. Suite de la vie des choses sans maître.
20h45
: Le plateau naufragé est un peu déblayé brutalement. Les acteurs parviennent à former une ligne face au public pour exécuter une petite danse sur Decades de Joy Division.
20h50
: Une actrice semble en proie à un malaise et se détacher du jeu. Un des "régisseurs", Jacques Delcuvellerie, vient s'accroupir près d'elle et lui parler. Il y a une bagarre très rapide où ce "régisseur" est jeté par terre, lunettes brisées. Les acteurs et lui-même sortent précipitamment. L'autre "régisseur", Éric Duyckaerts, présente quelques excuses pour ce contretemps.
20h52
: On suspend un moment sans sortir. Jacques Delcuvellerie revient. Deuxième pause-ov. Boissons
21h15
: Entrée dans le dernier local. Disposition rituelle : quatre petits autels laqués noirs très bas, sur chacun : bougie allumée, soucoupe, pinceaux, verre d’eau, derrière cette ligne d'autels, une scène à l’italienne surélevée avec au fond un grand écran. À genoux, les acteurs devant leurs petits autels attendent. L’un d’eux, sur le côté, défèque dans un récipient et, à l’aide d’une cuillère en argent dispose un peu de cette matière dans chacune des soucoupes individuelles. Les acteurs se maquillent avec de la couleur à l’eau et les excréments, se formant une espèce de masque.
21h45
: Les acteurs montent sur la scène et jouent lentement certains tableaux de "théâtre muet". Sur l’écran on voit alternativement des photos de chacun d’eux enfants, et celles du lynchage d’un jeune homme pendu et battu à mort par une foule hilare en Asie. Toutes les photos passent progressivement du flou au net et inversement. Pendant ce temps une bande-son diffuse un enregistrement où se mêlent le Chant des baleines accompagné d’une basse électrique désaccordée et le texte En route vers l’île de Gabriola d'Éric Duyckaerts, dit par lui-même
23h
: Fin. Les acteurs descendent un à un. On prend quelques clichés polaroïd du public. On ouvre les portes donnant sur le terrain vague, les invités sortent, tandis que les acteurs se démaquillent près d'une grande cuvette fumante, sorte de loge en plein air près du tas de charbon.
23h30 : Prolongements indéterminés et variables.
Une vidéo de cet événement a été réalisée par Lou Hérion.
Tous les membres du Groupov (dont Éric Duyckaerst) sont activement présents dans ces deux créations.
À l'occasion de la deuxième, Jean-Marie Piemme écrit un article Le deuil impossible qui jouera un rôle dans notre réflexion collective.
3) En 1984, création de Comment ça se passe, événement d'une durée d'environ 6 heures qui se tient presque constamment aux limites de la représentation. L'ensemble du projet résulte bien d'une création collective mais, sur le plan artistique, fût piloté avant tout par Francine Landrain et Jacques Delcuvellerie, assistés de Benoît Vreux.
Il s'agit d'une traversée entre différents modes d'être et de jeu dans un environnement changeant (immense entrepôt désaffecté, petite salle des fêtes d'entreprise, voyage en autobus, cheminement nocturne en terrain vague, représentation décalée de la scène des Artisans dans le Songe d'une Nuit d'été de Shakespeare, repas pris en commun et légèrement perturbé entre membres du Groupov et spectateurs, maquillage cérémoniel scatologique et danse intitulée La chute de Saïgon, etc.
L'événement n'acceptait que 30 spectateurs maximum par soir, considérés et traités comme des "invités". Les membres du Groupov étaient eux-même au nombre de onze... Le titre : Comment ça se passe était celui d'un texte de Francine Landrain dont elle lisait des fragments ; d'autres matériaux textuels étaient lus, chantés ou joués dont deux Métalogues de Gregory Bateson écrits pour sa fille.
Nous avons donné ici aussi un peu plus de détails parce qu'il s'agit d'une sorte d'aboutissement de l'Atelier de Recherche Permanent sur les Restes, parce qu'également sa préparation a demandé l'invention du premier grand Décalage collectif du Groupov pendant 15 jours, sous la direction de Francine Landrain et Jacques Delcuvellerie. Pratique qui sera développée et variée de différentes façons pendant toute la vie du Groupov. Enfin, c'est aussi la première fois que celui-ci reçoit une aide financière et en services d'une structure institutionnelle : le Théâtre de la Place (direction Jacques Deck).
Il faut noter que dans les deux premières créations, si le Groupov s'interdit tout dialogue en scène et "presque" toute expression verbale basée sur un texte préalable, en revanche des textes pré-enregistrés et musicalisés sont utilisés, de la vidéo, de l'action/painting, des photos, des sons, de la musique, l'acteur demeurant toujours le foyer central de l'expression vivante. Cette pluridisciplinarité des formes qui l'environne ou qu'il convoque, s'autonomise aussi dans des pratiques indépendantes des spectacles. En effet,
durant toute cette phase (1980/1988), des membres du Groupov s'impliquent dans la création de vidéos, de performances, participent à des expositions, écrivent et composent des chansons, des musiques (Thierry Devillers, Denis Pousseur), fondent des groupes de "rock" dit alternatif... Lors de l'invitation du Groupov dans la quinzaine "Waarde landgenoten" au Centre Culturel De Singel à Anvers (1988), ces différentes facettes de nos activités seront également présentes, à côté des spectacles The show must go on et Konieč (genre théâtre). Eric Duyckaerts y peindra notamment une toile murale de plusieurs dizaines de mètres de long : "Peindre des arbres, c'est créer une clairière", et le groupe Glassnotes de Thierry Devillers y donnera un concert.
Le Groupov connaît donc aussi, dans cette période, ces premières représentations hors de la Belgique francophone (Paris, Hanovre, Anvers). Mention doit être également faite de l'écriture du projet de film long-métrage Les Grandes Migrations par Francine Landrain (aidée de Paul Paquay), composé de 10 séquences se passant chacune dans une grande ville de l'Union Européenne (Barcelone, Lisbonne, Amsterdam, Oslo...), Belgique exceptée. Cette oeuvre sera récompensée par Le Prix de la Communauté Française du Meilleur Scénario.
En 1984, à la suite de Comment ça se passe, se produit la première crise interne vraiment sérieuse dite : Le désaccord de Belvaux. Jacques Delcuvellerie veut engager le collectif à sortir complètement du champ du spectacle par la création d’un lieu de pure expérimentation permanente. Ce lieu vaste et à l’écart des villes, serait donc à la fois un espace de vie collective – nous y habiterions – de recherches et essais perpétuels. Francine Landrain veut, à l’opposé, mettre fin "aux années de déconstruction à la limite de la santé mentale". Elle définit sa ligne de conduite pour le temps à venir comme celui de la "Nouvelle Naïveté". Elle veut créer une comédie musicale : The show must go on mettant en scène de "Nouveaux Indiens". L’ensemble du collectif se rallie à Francine Landrain. Jacques Delcuvellerie, seul, ne pouvant créer son « lieu », remet en chantier des Ateliers Ici/Maintenant. Néanmoins, le Groupov n’explose pas. Quelques membres cessent de faire partie des projets, pour certains temporairement, mais les deux parties « opposées » entretiennent toujours des relations amicales et productives. C’est ainsi que Jacques Delcuvellerie sera appelé à intervenir dans les répétitions de The show must go on. Les acteurs de la distribution du Show viennent voir les travaux des Ateliers Hic et Nunc.
Cette première phase semble s’achever avec la création collective de Konieč (genre théâtre) dont il existe un film remarquable réalisé par Michel Jakar lors des représentations à De Singel (Anvers 1988) et au Théâtre Varia (Bruxelles). Les auteurs de cette création (Jacques Delcuvellerie, Francine Landrain, François Sikivie) croyaient à ce moment que ce serait leur dernière œuvre commune. Repartant du désir initial du Groupov de serrer dans ses bras la beauté qui n’a pas encore paru au monde (Joyce), c’est-à-dire la recherche de l’in-ouï et des œuvres réellement inaugurales, Konieč (genre théâtre) entretenait des relations explicites avec La Mouette de Tchekov et l’exigence de formes nouvelles de son jeune anti-héros, Constantin Gavrilovitch Treplev.
La situation subjective à l’origine de cette création pourrait se résumer ainsi : «Nous avons sans doute épuisé ce que notre rencontre a pu générer d’énergie créatrice spécifique pendant 6 ans. Il est temps de se quitter. Pourquoi ne le faisons-nous pas en travaillant sur le rêve de théâtre que chacun pouvait avoir en tant qu’acteur ou metteur en scène, avant la fondation du Groupov, c’est-à-dire les plus beaux moments de l’histoire de l’art dramatique occidental ? Ces rôles et ces scènes que nous aimerions passionnément jouer et qu’on ne nous permettra peut-être jamais de rencontrer.»
A la suite de quoi, nous nous réunîmes dans un lieu isolé, au bord de la mer en Hollande, et nous commençâmes à délirer doucement ensemble sur cette proposition de base. Il en résulta simultanément deux réalités contradictoires. D’une part, un très grand enthousiasme, une complicité renouvelée et la ferme décision de poursuivre le projet. D’autre part, la constatation de l’impossibilité de mettre en pratique la proposition initiale, telle quelle. Elle ressemblait à un simple collage de moments paroxystiques du répertoire, elle rendait ces scènes inintelligibles et inefficientes, hors de leur contexte, elle ne témoignait en rien de notre position sur l’art de la représentation dramatique aujourd’hui, qui restait fondamentalement la même qu’en 1980. En outre, rien qu’une mise bout à bout de ces moments aurait duré des dizaines d’heures. Et tout cela, pour quoi ? Que voulait-on au spectateur à travers cet étalage, fût-il passionné et virtuose ?
A partir de là, c’est la nature même de notre désir qui fut questionné à nouveau. Un autre long processus commença qui finit par engendrer cette oeuvre étrange qui brassait les écritures de Francine Landrain, François Sikivie, Jacques Delcuvellerie avec celles de Tchekov, Heiner Müller, Dario Fo, théâtre, chants, vidéos, peinture, qui occupait la plus grande salle du Théâtre de la Place, mais dans un dispositif pour un public limité à 90 spectateurs, regroupés dans un espace presque collé à la grande scène et qui tenait à la fois de l’amphithéâtre (en demi-cercle et en gradins) et du snack-bar : hauts tabourets et tablettes pouvant accueillir boissons et nourriture. Tout en haut de ces gradins du public, les loges des acteurs, mais transparentes, comme une sorte d’aquarium où le public pouvait les voir, sauf quand les comédiens en fermaient les rideaux de strass argenté. Sur le plateau, les 3 acteurs et une petite fille, plusieurs tonnes de sable le recouvrant entièrement, au centre, une petite scène montée sur tréteaux ; côté jardin : un petit autel avec fleurs : un portrait de Joseph Staline et une chaîne Hi-Fi ; côté cour : un grand arbre qui se penchait largement au-dessus du plateau (un véritable pin sylvestre). Plus tard, descendant des cintres, des meubles d’un appartement ordinaire des années 1950 : cuisinière à gaz portant une bouilloire jaune, divan, porte-manteau, aspirateur, etc.
Du point de vue de l’évolution ultérieure du Groupov, on peut remarquer :
- que Konieč inclut un moment important - celui précisément avec les meubles (et un globe terrestre lumineux) descendent des cintres - où l’on entend Francine Landrain lire un texte poétique de sa plume, intitulé Lulu-Love-Life. Or ce personnage sera l’héroïne centrale de la pièce qu’elle écrira lors de sa résidence à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Création qui jouera un rôle majeur dans notre Phase II.
- que peu après la création de Konieč en 1987, dans le numéro 28 d’Alternatives Théâtrales, Benoît Vreux interroge Jacques Delcuvellerie sur son rapport personnel à cette oeuvre, cet interview parut sous le titre : Tradition/Trahison. S’il avait interrogé Francine Landrain ou François Sikivie les réponses eussent sans doute été sensiblement différentes, mais peut-être pas sur l’essentiel. L’intérêt de cet entretien dans Histoire d’un parcours, c’est qu’en dépit de la force de l’expérience de Konieč, il réaffirme le désir intact (et à cette époque : frustré) d’un lieu de recherches «pures», hors du champ de l’art dramatique. Désir qui trouvera à nouveau des moments de réalisation dans la Phase II. Par ailleurs cet interview reste encore très ancré dans la vision du monde des débuts du Groupov, vision qu’il va réinterroger lui-même peu après dans sa Lettre à celle qui écrit Lulu-Love-Life.
Ainsi, au lieu d’être un adieu réciproque et notre spectacle ultime, Konieč (genre théâtre a relancé le questionnement du Groupov sur lui-même et sur le monde, conduisant à la deuxième phase de son existence.
PHASE II (1989/1995)
Commençant ici une deuxième phase, il faut maintenant garder à l’esprit que, pour celle-ci comme pour celles qui vont suivre, si on peut se référer à une sorte de thématique centrale pour chacune d'entre elles - dans la Phase I : Atelier de Recherche Permanent sur les Restes , dans celle-ci : La Question de la Vérité - il a toujours coexisté des expériences et des créations apparemment hétérogènes à cette axiomatique.
Parfois référencée aussi comme La Question de la Question de la Vérité, cette période commence par la Lettre à celle qui écrit Lulu-Love-Life - Cinq conditions pour travailler dans la vérité (1989) adressée par Jacques Delcuvellerie à Francine Landrain alors en résidence d’écriture à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Cette très longue épître, dont l’écriture s’étale sur une année (décembre 1988 - décembre 1989), et sur laquelle l'auteur aurait aujourd’hui bien des nuances à apporter, ouvre cependant – et de façon décisive – une nouvelle orientation à la recherche du Groupov. A la relire a posteriori, en sachant maintenant les créations réalisées à sa suite, il semble évident que, dans sa révolte, ses tumultes, ses vertiges, ses intuitions et ses inspirations, elle contient la promesse parfaitement lisible de tout ce qui nous est advenu dans les années 90. Tant sur le plan des explorations para-théâtrales que sur celui des créations dramatiques. Ces deux options ne sont désormais plus ressenties au Groupov comme exclusives l'une de l'autre.
Ainsi, cette période sera notamment jalonnée de trois spectacles vus comme éléments d’un même triptyque : L’Annonce faite à Marie, Claudel (1991), Trash (a lonely prayer), Marie-France Collard et Jacques Delcuvellerie (1992) et La Mère, Brecht-Eisler (1995). (2) Mais simultanément, se poursuivent et se développent fortement les expériences de Culture Active notamment (mais pas exclusivement) dans le sens que Grotowski a donné à certaines de ses recherches para-théâtrales, absolument sans lien direct avec la représentation scénique et relevant plutôt de ce qu’il désignait par l’art comme véhicule. Sur ce terrain, par exemple, Jacques Delcuvellerie dirigera plusieurs expérimentations en forêt, aboutissant finalement à une forme structurée sur 5 jours et 5 nuits, les Clairières. Celles-ci seront remise en pratique régulièrement et connaîtront une évolution jusque dans les années 2000.
Les cinq conditions pour travailler dans la vérité permettent en effet de dépasser le désaccord de Belvaux parce qu'un glissement s'est opéré dans notre perception du monde qui, en 1989, diffère sensiblement des présupposés de la fondation de l'Atelier de Recherche Permanent sur les Restes.
Pour rappel, jadis, en 1980, nous nous interrogions en ces termes :
- La société occidentale conserve encore sa domination économique et technologique, mais elle n’a plus de vision du monde. Les discours totalisants sont tous en miettes.
- La scène était jadis théâtre du monde. Il n’y a pas si longtemps certains croyaient que « l’Homme y figurerait l’avenir de l’Homme ». Quand il n’y a plus de vision du monde, même en crise, même absurde, quand donc la mémoire elle-même se désorganise et que le langage fait défaut, alors qu’en est-il de la scène, « figure du monde » ?…
- Plus largement : si nous sommes bien entrés dans une civilisation en déréliction qui nous constitue un présent de « restes », un assemblage hétérogène de « choses sans maître » (res derelictae), quelle pertinence conserve encore la fonction de « représentation » ?
Mais à partir de 1989, dans la lettre à Francine Landrain, nous enregistrions :
- Que si les utopies s’effacent, l’oppression demeure.
- Que cette oppression brutale et l’aliénation idéologique qui enchaînent et dévastent à présent l’humanité à travers la planète ne se prévalent pas d’une nouvelle vision du monde, elles n'accouchent d'aucun concept inaugural. Elles nous resservent les anciennes mystifications mises au goût du jour d’un néo-libéralisme déchaîné et insatiable.
Cet aggiornamento des vieilles croyances, tant religieuses qu’« humanistes » bourgeoises, ne s’opère donc pas par le travail complexe et laborieux de la production d'idées inédites ou fondatrices, mais sous la forme philosophique avilie que le Groupov décrivait dès 1986 : par simplifications réductrices et moralisatrices primaires, les rendant immédiatement aptes à l’usage des médias. Fukuyama proclame désormais la fin de l’histoire, auquel Margaret Thatcher fera écho plus tard en inventant TINA : There Is No Alternative. À l’horizon planétaire, la perpétuation du règne de la marchandise pour l’éternité. La mesure théorique de toute valeur est celle de l’individu qui devient sa propre fin, le mirage de ce culte consumériste infantilisant étant sans cesse entretenu par tous les artifices du règne de la société du spectacle (Debord).
En ces années, dans l’hexagone voisin, les Piètres Penseurs (Dominique Lecourt) se bousculaient au portillon des leaders d’opinion, ravalaient la philosophie à la boutique du prêt-à-porter de la « morale » et affichaient un soutien sans faille au service des causes de l’impérialisme français, des essais atomiques dans le Pacifique aux interventions « humanitaires » autour des puits de pétrole.
Cette révolte réveillée en nous par la misère du monde mais tout autant par la misère de la pensée et l’avilissement des comportements, nous a conduits au projet d’aller nous confronter à de très grands artistes (ici : Claudel et Brecht), dont le génie créateur, le souffle, le bousculement et la réinvention des formes ne s’étaient nullement amoindris ou sclérosés mais au contraire épanouis et exaltés d’avoir accouché leurs œuvres dans l’adhésion à un corpus de vérités qu’ils tenaient pour indéniables. Qu’elles fussent « éternelles » pour Claudel, ou en mouvement pour Brecht, toute la pensée et toute la recherche s’abreuvaient pour eux à une source, précise, féconde et revendiquée.
Pour le Groupov, qui s’était débattu dans un état de déréliction aigüe pendant toute la période de l’Atelier de Recherches Permanent sur Les Restes, retourner vers ces auteurs n’allait donc pas s’opérer – comme c’était alors l’option générale tout autour de nous – dans la volonté de les re-lire. La re-lecture (ce pléonasme, car c’est bien le sort de facto de toute lecture en action) étant devenue au théâtre une prescription impérative, chacun était tenu de s’approprier le texte d'une œuvre de telle sorte qu’en fussent révélés des substrats inconnus auparavant et, si possible, scandaleux. A tout le moins : résolument contraires aux vues antérieures sur l’auteur. Sans discuter ici la part des découvertes effectives que cette démarche a pu générer ni celle des outrances et frivolités de la surenchère devenue obligatoire, jusqu’à la plus aberrante vanité, dans tous les cas, Groupov procéderait, pour Claudel et Brecht, tout à l’inverse. Il se méfierait au plus haut point de sa propre (re)lecture et prendrait tout le temps d’études et d’exercices nécessaires à tenter de faire sienne la vision revendiquée par l’auteur, comme à celui de se rendre capable d’assimiler et, si possible, incarner ses prescriptions esthétiques et formelles.
Ainsi, nous nous confronterons à L’Annonce faite à Marie, selon le mot de Paul Claudel, comme à un opéra de paroles, dont les corps et les voix seront animés de toute la violence charnelle et mystique charriée par ce verbe. Et la réalisation de La Mère de Brecht (et Eisler) sera élaborée en une sorte de miroir de la mise en scène même de Brecht au Berliner Ensemble, codifiée dans son modellbuch et transcrite en film par Manfred Wekwerth. L’imitable comme transformable avec ajustements pertinents, c’est la définition brechtienne de l’imitation d’un Modèle. (3)
Notre pari était, pour l’une et l’autre de ces mises en scène, que c’est dans cette tentative de fidélité scrupuleuse (mais inventive) que se révélerait au mieux l’impact actuel de ces deux pièces apparemment très datées. Ce que le succès public et critique confirma entièrement. (4)
L’œuvre intercalaire du triptyque entre ces deux visions, chrétienne intégrale (Claudel) et marxiste épique et dialectique (Brecht) entretient un rapport complètement différent à la Question de la Vérité. Si elle devait se trouver (avec beaucoup de précautions) un référent, ce serait peut-être Georges Bataille. À la fois penseur et auteur de fictions érotiques, hanté par les prémisses et les zones de surgissement d’un mysticisme laïc. À la fois l’économiste transcendant qui écrit très rationnellement La part maudite et celui que déchire l’expérience intérieure, fulgurante, extatique, mais résolument non confessionnelle.
Trash (a lonely Prayer) est une création avant tout orale, dont la verbalité pornographique extrêmement violente, est portée par un texte de femme (Marie-France Collard), destiné à 5 actrices : "Il me semblait, quant à moi, urgent et obligatoire d'affronter en soi ce « fond inconnaissable » : cette limite où s'exprime, dans une opposition non productive, le conflit entre l'instinct de vie et le désir de mourir " (5). Environ 20% de textes hétérogènes à celui de ces femmes, écrits par Jacques Delcuvellerie, appartiennent au seul homme (à moitié enterré) qui prend la parole pendant ce spectacle. Espèce de prophète terroriste, révolutionnaire et religieux (chrétien) prônant la lutte armée contre l’impérialisme, le sacrifice de soi et la castration.
Il faut noter que l’ensemble du Triptyque Vérité est complètement dominé par ses personnages féminins. Les deux sœurs, Violaine et Mara dans L’Annonce faite à Marie, les cinq historiennes de Trash (a lonely Prayer), et Pélagie Vlassova de La Mère, personnage sans doute unique dans le répertoire puisque cette femme est présente dans toutes les scènes de la pièce (à la vaste distribution) sans exception.
C'est, de surcroît, le cas également de trois spectacles (dont deux créations) de cette phase, en dehors du Triptyque Vérité. L'écriture et la mise en scène, déjà signalée, du Lulu/Love/Life par Francine Landrain, la réalisation de Penthy Two, projet initié par Francine Landrain et mis en scène par Jacques Delcuvellerie, à partir de la figure centrale de la Penthésilée d'Heinrich von Kleist. Enfin, sur le chemin de La Mère, Jacques Delcuvellerie mettra en scène La Grande Imprécation devant les murs de la ville de Tankred Dorst, dont l'héroïne, Fan Chin-Ting, incarnée par Francine Landrain mène l'action de bout en bout.
Les expériences para-théâtrales et les créations qui, dans cette phase II, ne semblent pas relever de la Question de la Vérité, n'y sont pour la plupart qu'apparemment hétérogènes. C'est nettement le cas du Lulu-Love-Life, de Francine Landrain. Repartant d’une ancienne obsession pour le personnage de Lulu (et pour le destin de Louise Brooks) et qu’elle avait déjà affrontée dans un travail au Conservatoire, puis réinventée dans sa résidence d'écriture en Avignon et transposée dans le monde contemporain, puis enfin mise en scène à l'Atelier Sainte-Anne, Francine a élaboré une œuvre où cette partie intime d’elle-même s’étoffe aussi des interrogations qui hantent le collectif depuis sa fondation et se nourrit des mêmes révoltes qui traversent la lettre qui lui est adressée en 1989.
C’est ce dont témoignent bien deux critiques (féminines) de cette création :
Lulu au pays des images
Sous-titré Little sweet tragedy, Lulu/Love/Life campe le désarroi d’une époque où les sentiments sont devenus incongrus et où les humains, pas tellement différents des machines qu’ils contrôlent, poussent jusqu’à l’absurde le bouchon de leur existence dérisoire. Haché au rythme d’accents rock mâtinés de blues, le texte a le tranchant d’une lame de couteau. Un désir douloureux d’amour absolu y bat entre deux rafales de violence […]
Kitch et toc omniprésents, tant dans le jeu des personnages qui mêle parodie, emphase et distanciation, que dans les décors, les costumes et les couleurs.
[…] Francine Landrain a décidé de faire une mise en scène éclatée, frénétiquement éparpillée, menée au rythme rock de Denis Pousseur, un spectacle qui veut rendre compte de la désagrégation des rapports humains, de la perte du sens, de l’affolement général dans lequel nous vivons. […]
L’écriture proprement dite de Lulu/Love/Life est traversée par le morcellement, la rage et la violence mais aussi, au cœur de ces silences, par une émotion contenue d’une grande poésie.
Sabrina Weldman, in La Cité, 14/03/1991
Lulu lâchée dans le monde livide
Francine Landrain y parle de la perte de l’innocence, du struggle for life, du dégoût, de la révolte, de l’absolu, de la rédemption … dans un monde de production et d’argent, contrasté par un autre monde misérable. Il était une fois, dans des studios télés, d’où partent les mêmes images du monde qui inondent les maisons de tous les hommes … Il était une fois, une Lulu extralucide.
Claire Diez, in La Libre Belgique, 13/02/1991
Le texte intégral de Lulu/Love/life sera publié aux Éditions Théâtrales(Paris, 1991).
Dans la même veine, peu de temps après, Francine Landrain va s’affronter à un autre mythe féminin : l’amazone Penthésilée, dans la version romantique hallucinée qu’en a donnée Heinrich Von Kleist. On se souvient que dans cette oeuvre, Penthésilée tue Achille, le héros qu’elle désire passionnément et qu’en même temps elle combat comme un ennemi mortel. Elle le tue et, dans un état second, finit par dévorer son cadavre avec ses chiens.
Cette fois-ci, ce n’est pas seulement de l’héroïne qu’elle subit la fascination mais elle étend celle-ci à l’auteur, ce génie intense, extraordinairement doué dans tous les genres et qui se suicidera à 34 ans avec Henriette Vogel, une musicienne qui l’aimait, après un déjeuner champêtre à Wannsee. Avec son consentement (elle était atteinte d’un cancer), il la tua d’abord d’un coup de pistolet puis retourna l’arme contre lui.
Comme on sait, Kleist a aussi écrit quelques textes interpellants sur le théâtre et l’art de l’acteur, auxquels le Groupov ne pouvait rester indifférent.
Après des premières recherches lors du décalage d’été Groupov de 1993 (cf. Ligne du temps), Francine Landrain donne au projet un titre auto-dérisoire : Penthy Two, dans la conscience critique de l’écart entre le chef d’oeuvre monstrueux de 1807 et les lectures et appropriations réductrices des êtres diminués d’aujourd’hui. Nous. Mais, pour le Groupov, avec cette douleur et cette colère de la nostalgie d'un autre état du monde qu'Heiner Müller, comme Genêt, estimait révolutionnaire.
Différentes étapes expérimentales eurent lieu (notamment avec Sophie Kokaj à l’Atelier Saint-Anne). Puis, l’invitation de Frie Leysen au Groupov, de créer un spectacle dans le cadre de la première édition du KunstenFestivaldesArts (mai 1994), accéléra le processus.
Francine Landrain et Jacques Delcuvellerie décidèrent d’un décalage particulier en s’enfermant plusieurs jours et nuits dans une grande cage placée au centre d’une salle vide et totalement occultée. Cette salle se trouvant elle-même dans les bâtiments en ruines d’un ancien hospice. Ils perdirent ainsi, assez vite, les repères diurnes et nocturnes, car quelqu’un leur apportait bien de la nourriture, mais selon un horaire irrégulier. Dans la cage, le strict nécessaire, deux lampes, quelques livres, deux sacs de couchage, de quoi écrire et enregistrer. Quelques règles minimales de comportement furent fixées. Durant cette durée, les deux séquestrés devaient laisser advenir, surgir, visions, idées, sensations, questions, associations libres de concepts ou d’actions imaginaires, que la Penthésilée de Kleist provoquait en eux. Les réactions à ce qui s'énonçait là pouvaient elles-mêmes devenir prétexte à d’autres associations, sans se soucier a priori de leur conformité au sujet initial.
Des suites de cette expérience Penthy Two commença à trouver sa forme textuelle, dramatique, musicale, scénique (dispositif et vidéos - cf. générique complet des intervenants dans la rubrique «Spectacles»). )L’élaboration se poursuivit pendant les répétitions au KVS. Beaucoup d’urine de Penthésilée, une vraie tête de cheval écorchée, absence de toute dérision ou «humour» par rapport aux «outrances» du romantisme, les jeunes filles en fleur, leur suicide, les molosses bondissant, les chants, arrivèrent peu à peu à coexister. Un long texte de Georges Bataille, tiré de La part maudite devint un élément central de l’oeuvre, et Francine Landrain écrivit elle-même un épilogue très dur intitulé : La guerre est bonne.
Au KunstenFestivaldesArts, « Penthy Two » par le Groupov. La guerre a été créée pour… un spectacle qui fera date
Rugueux, véritablement audacieux, Penthy Two est un spectacle débordant d’intelligence, qui fait jaillir sur fond de musique rock la langue émouvante, étonnante de Kleist, qui prend le risque de dérouter, peut-être de dégoûter certaines personnes, de faire entendre en tous cas les vérités que la société enterre redoutablement.
Christelle Prouvost In Le Soir, 09/05/1994
D’une toute autre manière, Broll, conçu et interprété par François Sikivie dans une mise-en-scène d’Isabelle Ghyselinks, s’il est évidemment tout à fait extérieur au Triptyque Vérité, met cependant en jeu des thèmes socio-politiques d’actualité, indéniablement liés au Groupov de cette période. Ce seul-en-scène de François Sikivie (si l’on excepte sa partenaire animale à divers moments sur le plateau : une imposante vache laitière nommée Ménarine) est écrit et joué dans le style inimitable de François, à la fois burlesque, tragi-comique et profondément enraciné dans sa culture populaire «belgicaine».
Parallèlement aux spectacles, en ce qui concerne les explorations expérimentales, la recherche pédagogique et le para-théâtre en général, toute la phase II a été extrêmement active.
Deux exemples :
- En 1993, se déroule un Décalage d'été d'un mois dans les Fagnes, à proximité d'un vaste site forestier. On trouvera dans la ligne du temps des détails sur cet événement important pour le Groupov dont nous retiendrons ici que s'y est inventée la première forme de Clairière et que s'y esquissent également les premières ébauches de la future création Penthy II.
- En 1993/94, au sein du Conservatoire Royal de Liège et avec l'appui de Max Parfondry, Jacques Delcuvellerie, assisté de Nathalie Mauger et Pietro Varasso, ouvre un Studio expérimental de recherche pédagogique sur la formation de l'acteur.
En 1995, le Groupov convient, en interne, des accords de Spontin, ceux-ci répondent en quelque sorte au désaccord de Belvaux de 1984. Le dépassement de cette contradiction s'était déjà opéré depuis longtemps sur le plan théorique (dans la lettre à Francine Landrain) et concrétisé dans notre pratique. Nous avons ressenti la nécessité d'en énoncer formellement le contenu, afin de mieux préparer la négociation d'un renouvellement de notre contrat-programme avec le Ministère de la Culture. Nous voulions être absolument certains que les termes de celui-ci reconnaîtraient officiellement une mission spécifique au Groupov qui ne le réduirait pas aux seuls devoirs et aux seules possibilités d'une compagnie théâtrale productrice de spectacles et que sa part de recherches et d'exploration de territoires inconnus y serait bien garantie. C'est notamment à cette fin que le Conseil d'administration du collectif propose d'intituler désormais le Groupov : Centre Expérimental de Culture Active.
La définition de la culture active peut varier considérablement d'un locuteur ou d'un contexte à l'autre, mais elle a toujours été entendue entre nous dans un double sens. D'une part, la recherche de formes d'expressions artistiques qui modifient, perturbent ou renouvellent la distinction traditionnelle des rôles de l'artiste (actif) et du public, du spectateur ou du consommateur (passif), c'est le champ où l'on peut regrouper sommairement nos différentes pratiques para-théâtrales ; d'autre part, des formes d'interventions plus directes et à caractère politique souvent plus affirmé (animations, formations, ateliers, etc.).
Ces précisions nouvelles qui seront effectivement adoptées dans la formulation du contrat-programme, n'excluent évidemment pas qu'une large part de nos moyens soit toujours consacrée à la création dramatique. Mais le contrat accepte également que notre démarche puisse se développer dans d'autres disciplines : écriture, films, musique, etc.
Ce que ce contrat-programme va reconnaître officiellement ne fait que consacrer une réalité existante et c'est bien ainsi qu'une partie de l'audience du Groupov et certains observateurs professionnels de la vie artistique le perçoivent. Nous donnons ici, à titre d'exemple, quelques extraits d'un article paru un peu plus tard (décembre 1997) car il permet de prendre la mesure de la différence entre ce milieu des années 90 et la situation de la recherche théâtrale dans les années 2000 et surtout dans les années 2010. En effet, en ce qui concerne le Groupov, non seulement notre contrat-programme reconnaissait explicitement notre mission expérimentale et pluridisciplinaire, mais un climat relativement favorable, on pourrait même dire une forme de sympathie, entouraient l'idée d'encourager une démarche "en marge" de la pratique dominante...
Il est significatif que l'article en question soit paru dans la revue culturelle officielle de la Communauté Française de Belgique et qui faisait partie de sa vitrine diplomatique. Ce sont ces conditions si différentes de celles d'aujourd'hui qui ont permis au Groupov de trouver, dans la phase III, les financements et les soutiens nécessaires à une création dont la gestation, par sa longueur (quatre années), son ampleur et son sujet même présentaient les plus grands risques : Rwanda 94. Une tentative de réparation symbolique envers les morts à l'usage des vivants. En fait, un processus et des risques tout à fait inédits en Belgique francophone. L'article fait également allusion à ce chantier qui s'ouvre sur le génocide et c'est donc bien à sa manière personnelle et subjective, une vision d'ensemble de notre démarche.
"La maison Groupov
Le Groupov a de nombreuses qualités. Je ne parle pas des qualités artistiques qui font qu’un artiste perdure. Sous la conduite de Jacques Delcuvellerie, le Groupov est persévérant. […]
Qualité encore, le Groupov est surprenant. Il n’est jamais là où on le croit ! Au long des années 80, on l’avait connu collectif iconoclaste qui mettait en question les codes de la représentation théâtrale et le texte dramatique, jouant avec l’improvisation, la nudité et les déchets de notre civilisation. En 90, il estime que l’époque exige une approche différente mais s’affirme toujours aussi politisé. L’angle de vision change […] A l’aube du deuxième millénaire, Jacques Delcuvellerie a prouvé son talent à mettre en scène, et en bouche, le répertoire. Il peut récidiver, il préfère changer d’aiguillages. Pas pour nous narguer, mais afin d’aller au-devant de ses propres urgences. Voilà qui le différencie de tant de ses contemporains !
Son activité théâtrale est une quête – un exorcisme également – qu’il orchestre tel un rituel avec sa tribu. Le Groupov ignore la demi-mesure : metteur en scène et acteurs semblent y jouer leur vie, leur vision du théâtre, leur être et leur pensée politique. Que l’acteur expérimente sur scène les fonctions corporelles ou qu’il fouille jusqu’au vestige de la parole christique ou érotique, chaque fois il va jusqu’au bout de lui-même.
Comment regardons-nous le monde ? Quelle est notre capacité d’engagement, ici et maintenant ? Et quelle est la forme théâtrale la plus à même d’éclairer cette démarche ? Pour y répondre depuis la fin du projet Vérité (1995), le Groupov a choisi deux directions, l’une théâtrale, l’autre para-théâtrale. En matière de théâtre, le collectif […] a décidé de s’éloigner du répertoire et de développer des créations d’actualité contemporaine. Ce volet est à l’ordre du jour avec le projet Rwanda dont l’aboutissement est prévu pour avril 99. Son objectif ? Réaliser un véritable travail d’auteur contemporain, à savoir ausculter l’Histoire présente comme l’ont fait Shakespeare, Peter Weiss, Adamov ou, plus près de nous, Bernard Chartreux. […]
Du côté para-théâtral, le Groupov a pris le chemin de la forêt. Qu’est-ce à dire ? Le collectif s’est institué en Centre Expérimental de Culture Active, une appellation empruntée à Grotowski. Expérimental pour souligner qu’il n’est pas seulement un groupe de production de spectacles […] Culture Active car l’idée est de proposer des formes qui touchent l’intelligence et la sensibilité des gens – au même titre que les œuvres d’art –, des formes dont la particularité cependant est d’être éphémères, non transportables… et inexistantes sans l’action des individus eux-mêmes : la forme s’élabore de connivence avec eux !
Le projet le plus avancé de ce grand projet intitulé « Au pied du lit de l’agonisant les enfants jouent » - projet qui comprend la nature, l’enfance et la mort – est le pôle nature. Il se nomme « Les Clairières » dont Jacques Delcuvellerie et Olivier Gourmet […] « Clairière »… Clairière des forêts dans lesquelles un guide pareil à un guide de montagne connaissant le terrain, pilote cinq jours et cinq nuits durant un groupe de quinze à vingt participants. Cette aventure ne ressemble pas à une aventure-survie mais à un voyage qui balance entre solitude et collectivité, expérience forte de la nature et introspection. Le parcours est ouvert à tous, on ne vous demande aucune compétence particulière au départ, seulement de faire appel à votre capacité de perception, d’imagination,… Libre à vous d’accomplir ou pas les travaux solitaires proposés, personne ne viendra vérifier ! Vous rentrerez chez vous avec ce que vous aurez semé… vous aurez vécu une expérience. Cette fois encore, la dimension rituelle, initiatique, du projet n’exclut pas sa portée politique. Politique puisque l’être humain y devient acteur plutôt que consommateur. Puisque la culture active entend toucher les gens afin d’éveiller en eux ce que la vie contemporaine a anesthésié. Oui, participer à une « Clairière » c’est se demander au bout du compte : est-ce que j’avais bien cinq sens éveillés auparavant ? Est-ce que j’avais déjà levé la tête ? Depuis combien de temps n’avais-je pas vraiment regardé le ciel, ou une feuille ? […] Le Groupov reste donc fidèle à son orientation initiale : la recherche. Une recherche qui demande du temps […]. Cette exigence est impossible à préserver dans un théâtre officiel où le directeur a une obligation de programmation. Un lieu de travail convenait mieux à ce collectif tantôt regroupé, tantôt disséminé dont le fondateur, Jacques Delcuvellerie, passe aux yeux des plus jeunes pour un institutionnel et à celui des responsables d’institutions pour un marginal ! Une position qui lui va bien même si elle lui coûte cher. Ce Français installé en Belgique francophone est en permanence décalé !"
Sabrina Weldman, in Art & Culture, décembre 1997
Il faut signaler que ce type d'appréciation positive de la "Maison Groupov" trouve aussi confirmation dans cette phase II par des nominations et des prix. L'importance des résultats de son travail pédagogique est également reconnue :
"Manifestement, le laboratoire liégeois a donné naissance à une génération de comédiens et de metteurs en scène avec lesquels il va falloir compter en cette fin de siècle."
Jean-Marie Wynants, in Le Soir, février 1991
Il se crée donc pendant cette phase II des conditions subjectives mais également matérielles (subvention récurrente) qui vont permettre l'aventure de la phase III. Cependant cette subvention, devenue contrat-programme, si elle assure au Groupov une certaine capacité d'investissement dans la création, est encore trop faible pour qu'il puisse en même temps louer un lieu de travail, pas même un bureau, ni disposer d’un secrétariat permanent. Ce qui permet au Groupov de monter des spectacles dont les méthodes d’accouchement ou l’envergure deviennent, professionnellement, de plus en plus coûteuses tient uniquement aux apports en co-production d’institutions importantes, comme le Théâtre de la Place (Liège), l’Atelier Saint-Anne, le Théâtre Varia, et finalement, le Théâtre National (Bruxelles). Mais la part de bénévolat reste très importante, de même que le soutien de structures pédagogiques où peuvent s’expérimenter des travaux préparatoires approfondis.
On aura évidemment relevé qu’en cette Phase II, avec la remise en question de fond de la Lettre à celle qui écrit Lulu-Love-Life - Cinq conditions pour travailler dans la vérité, avec la pratique simultanée «réconciliée» de créations dramatiques et d’expériences para-théâtrales, le fonctionnement même du collectif Groupov s’est également fortement modifié. Si «un noyau dur» d’anciens membres fondateurs et de nouveaux membres très actifs débattent collectivement des grandes orientations et planifient tout ce qui s’entreprend, les créations et les expériences sont générées et conduites par des associations à géométrie variable. De grands projets comme Lulu/Love/Life ou le Tryprique Vérité sont décidés collectivement, mais se constituent à leur gré et selon leurs nécessités des équipes comprenant des membres du Groupov aussi bien que des personnalités extérieures.
Dans toute cette circulation de collaborations fluctuantes à l’intérieur du collectif et avec l’extérieur, il arrive que certains artistes et techniciens de différentes disciplines demandent à rejoindre le Groupov (son asbl juridique), et ils y demeurent - parfois pour toujours - ou en sortent, avec une beaucoup plus grande fluidité que dans le Groupov de la 1ère phase.
PHASE III (1996/avril 2005)
À un observateur pressé, cette phase du Groupov pourrait sembler tout entière dévolue à la gestation, la création, puis la tournée internationale de Rwanda 94. Une tentative de réparation symbolique envers les morts à l'usage des vivants. Mais si cette oeuvre a bien constitué un aboutissement majeur dans notre histoire, et si elle a effectivement mobilisé une part considérable de nos énergies, réduire notre activité dans cette période à cette seule entreprise serait tout à fait erroné.
Pour bien saisir la cohérence dans la diversité de cette phase III, nous rappellerons d'abord le point de vue nouveau dont, après La Mère, le Groupov regarde le monde et formule ses projets. Nous examinerons ensuite les diverses réalisations et expériences de 1996 à 2005.
Principalement :
- Rwanda 94 1996 - 2005 (gestation, création, tournée internationale, tournage des films liés à ce spectacle)
- Discours sur le Colonialisme (Aimé Césaire) (création au Festival de Liège en 2001 - Entrepris à l'initiative de Younouss Diallo, son interprète et mis en scène par Jacques Delcuvellerie. Ce spectacle connaïtra une tournée internationale sur plusieurs continents pendant de longues années).
- Anathème (mise en chantier du projet, présentations publiques d'étapes du Work in progress en France et en Belgique, création finale au Festival d'Avignon en juillet 2005).
- La Mouette (Tchekov) ( Réunions d'orientation de l'équipe artistique et travaux préparatoires d'interprétation avec certains comédiens en vue de la création au Théâtre National en septembre 2005)
- 3 pièces de Jeanne Dandoy :
- Sweet,
- son spectacle/performance Jane ; la nature très particulière de ce spectacle est détaillé plus loin.
- une création en mini-triptyque de Jacques Delcuvellerie, UbuLuluStein avec les étudiants de son studio de Recherche Pédagogique.
- Explorations para-théâtrales, avant tout le développement des Clairières et activités pluridisciplinaires : films, expositions, publication, concerts, etc.,
1. LE POINT DE VUE GLOBAL.
Au terme de ce long parcours qui allait de L’Annonce faite à Marie de Claudel à La Mère de Brecht-Eisler, en passant par Trash (a lonely Prayer) de Marie-France Collard et Jacques Delcuvellerie, La Question de la Vérité a donc conduit le Groupov à se situer sur le terrain de la pensée, de l’exemple, de la sensibilité et des outils de l’entreprise brechtienne, avant tout. Également de certains auteurs apparentés, tel Peter Weiss. Ou qui en semblent éloignés mais sont à nos yeux tout à fait connexes, tel Pier Paolo Pasolini.
Ainsi, on pourrait dire que l'héritage de Peter Weiss est davantage sensible dans Rwanda 94 et celui de Pasolini dans Anathème.
Nous en sommes venus là parce qu'à un moment donné, il nous est apparu que la « question-de-la-vérité » se recoupait largement, chez tous les vivants mais chez les artistes avec une intensité particulière, avec celle du sens (ou non) de la souffrance humaine et de la mort. Cela peut donner lieu à de vertigineux débats métaphysiques (la question du Mal, par exemple), ou à des réponses pragmatiques bornées, voire dangereuses. Pour nous, ce cheminement nous a conduits progressivement à un accord, tant de l’esprit que du cœur, avec Brecht – plus exactement : avec la longue évolution brechtienne. Cet accord n'est pas réductible à un corps de convictions et de pratiques, il faut l'entendre dans le sens où Jacques Delcuvellerie a tenté de le synthétiser dans le texte : Tendre vers Brecht. En voici le début :
Tendre vers Brecht (1)
Les chants des hommes sont plus beaux qu’eux-mêmes
Nazim Hikmet
"Le mot BRECHT ne se réduit ici ni à un homme, ni à son œuvre. Quand je décris un tel désir, « Tendre vers Brecht », je veux dire : tendre vers ce que Brecht désirait lui-même. Je l’entends au sens large : le projet social, la création du « divertissement de l’ère scientifique », les valeurs philosophiques et morales inspirant de nouveaux rapports entre les hommes (« être amical »), etc. Ce projet brechtien constitue un monde, on pourrait dire aussi : ce monde est en fait un projet. Toutes les parties en sont étroitement interdépendantes, avec leur autonomie. Toutes ont évolué considérablement au cours de sa vie. Mais, contrairement à ce qu’on lit de plus en plus, elles me semblent constituer un ensemble en formation d’une cohérence remarquable. De ce projet-monde, Brecht (l’homme) se sentait à peine digne et chacun sait que la modestie ne l’étouffait pas vraiment – Brecht l’écrivain et le faiseur de théâtre, en était l’artisan. Œuvres et réflexions en indiquent les pistes, ou le premier déchiffrement. Certaines de ces indications semblent plus claires que d’autres:
Bonheurs
« Le premier regard par la fenêtre au matin
Le vieux livre retrouvé
Des visages enthousiastes
De la neige, le retour des saisons
Le journal
Le chien
La dialectique
Prendre une douche, nager
De la musique ancienne
Des chaussures confortables
Comprendre
De la musique nouvelle
Ecrire, planter
Voyager
Chanter
Etre amical »
Tout ceci est superlativement projet brechtien. Depuis l’humble pluriel du titre, contre les grandes notions métaphysiques (« le » bonheur), jusqu’à ce style à nul autre pareil qui crée une émotion poignante sans jamais se répandre, sans nommer la précarité de l’existence (« ne sois pas si romantique », était-il affiché au Berliner), sans dire la nostalgie passionnée d’un autre état du monde. Je pense aujourd’hui que, dans ce sens, « tendre vers Brecht », c’est-à-dire vers ce que je crois pouvoir identifier de la tension brechtienne elle-même, constitue une sorte d’idéal, de rêve et de méthode pour notre travail actuel." (1) : paru d'abord dans Alternatives Théâtrales, n°67-68, avril 2001, p. 107-108
Dans le résumé de la phase II, nous n’avons pas détaillé notre chemin vers Brecht. Il a été extrêmement patient et approfondi. Il convient de le retracer brièvement pour mieux comprendre à quel point cela nous a mieux armés pour affronter un projet tel que Rwanda 94 .
- Sur le plan théorique : lecture de l’intégralité de ses écrits jusqu’à son journal de travail. Nous avons aussi étudié (ou réétudié) beaucoup des « référents » nécessaires au bon entendement de ses réflexions comme de ses créations littéraires, dramatiques, filmiques. Cela va de Lessing, ou Lenz, à Marx et Hegel, Engels, Mao Tse Toung, Rosa Luxemburg, Georg Lukàcs, etc. En passant par ceux qui ont alimenté ses propres ré-écritures : Sophocle, John Gay, Shakespeare (les Élizabéthains en général), Farquhar, etc. Et également les auteurs et artistes qu'il a directement influencés : Heiner Müller, Adamov, Gatti, le couple Jean-Marie Straub/Danièle Huillet, etc.
- Sur le plan de la confrontation à la pratique, il y eut un long chemin vers La Mère. Ainsi, Jacques Delcuvellerie a monté trois fois, et dans trois versions différentes, La Décision à l’INSAS, pièce « d’apprentissage » (Leehrstück) précisément. Il reviendra sur ce chantier en 3 nouvelles versions dans son Studio Expérimental au CRL, pendant la gestation de Rwanda 94. Il a mis en scène, comme un travail sur un théâtre para-épique, La Grande Imprécation devant les murs de la ville de Tankred Dorst qui sera joué au Théâtre de la Place à Liège et au Théâtre Varia à Bruxelles. Nous avons organisé avec Max Parfondry un atelier de chants brechtiens selon les principes mêmes du Berliner Ensemble, dirigé par Dirk Vondran, un professeur de Leipzig (ex-RDA). Une équipe du Groupov a mené une enquête à Berlin sur deux mises en scène différentes de La Mère, au Berliner Ensemble et à la Schaubünne. Il a rencontré Manfred Wekwerth, qui avait, entre autres, réalisé le film La Mère dans la mise en scène même de Brecht – film visionné et analysé avec toute l’équipe. Ce qui a conduit à l’option d’une tentative générale de suivre les solutions de Brecht, de même que la décision (rare mais chaque fois essentielle) de ne pouvoir lui rester fidèle qu’en nous en écartant un peu à certains endroits précis. Se rendre capable de « copier » ou de transformer, soulevait chaque fois des questions de choix et des exigences concrètes dans tous les domaines : scénographie, musique, jeu des acteurs, etc.
C’est ce long apprentissage théorique et pratique, qui nous permit de réaliser pleinement La Mère dans sa grande dimension (avec musiciens, par exemple), malgré les conditions drastiques de répétition prévues par le Théâtre de la Place. Les répétitions au Berliner Ensemble pouvaient durer des mois, voire une année... Nous eûmes sept semaines. Après négociation, le metteur en scène obtint 15 jours supplémentaires, mais avec Anne-Marie Loop seulement, qui allait porter la lourde charge du rôle-titre, personnage présent d’un bout à l’autre de la pièce. Ceci, en amont des 7 semaines collectives. Il obtint également que tous les acteurs, y compris les «petits rôles», soient engagés contractuellement, et donc présents, dès le premier jour, afin de constituer un véritable ensemble. Dans tous les domaines, nous dûmes prendre de l’avance sur les répétitions. C’est ainsi que Greta Goiris put procéder dès le premier jour à des essayages partiels des costumes qu’elle avait conçus.
Le succès de La Mère nous a donné une certaine confiance dans nos capacités à poursuivre dans ce sens. Désormais, sur un double plan. Celui d’oser la grande forme et celui d’oser nous affronter au tumulte sanglant du monde actuel. D’où a surgi ce moment où nous avons accepté de répondre à l’injonction impérative que nous adressait le génocide au Rwanda.
2. LES RÉALISATIONS.
«(...) Rwanda 94 restera le grand spectacle, indépassable, de la fin du siècle passé. La tragédie des temps modernes ! Spectacle « inouï » que l’on ne fait pas deux fois dans la vie. Mais une fois, ça suffit ! Nous en avons été les témoins éblouis ! Et si je reprenais la formule de Paul Celan : « qui témoigne pour le témoin ? », je dirais qu’aujourd’hui encore nous sommes prêts à nous soumettre, sans hésitation ni réserve, à tout examen. Je ne crains rien. De la part de quiconque. Mon témoignage est gravé et définitif.»
Georges Banu, Le théâtre de la pensée, in Sur la limite, vers la fin.
Il est absolument impossible de décrire ici (ni même de résumer sérieusement) l'histoire de ce spectacle à tant d'égards hors normes. Nous indiquerons donc schématiquement les différents chapitres dont devrait se composer un tel résumé. Par ailleurs, nous renvoyons à d'autres textes (dont certains sont disponibles sur ce site) ou documents essentiels (films, par exemple, ou l'édition de la pièce) qui en retracent les principes généraux, la méthodologie, et les prolongements. En outre, on peut évidemment se reporter à notre Ligne du temps pour les années qui se succèdent de 1995 à 2000
Schématiquement :
a) Il y eut d'abord le choc initial (1994), celui où tout s'origine :
" L’initiative a procédé d’une révolte très violente.
Une révolte double, en fait
- Face aux événements eux-mêmes : le génocide perpétré dans l’indifférence et la passivité générales. Les morts n’avaient pas de nom, pas de visage, pas de réalité. Chiffres abstraits et incertains, corps boueux le long des routes, l’humanité qui leur avait été déniée dans la mort leur était également refusée au-delà. Après nous avoir gavés jusqu’à l’écœurement de son credo humanitaire, après la litanie des « plus jamais ça », la soi-disant « communauté internationale » acceptait, et pour certains de ses membres : protégeait, le crime entre tous intolérable.
- Face au discours qui constituait ces événements en informations dans les médias, en particulier la télévision. A de très rares exceptions près, la « tragédie rwandaise » s’y présentait comme une « guerre tribale », problème « typiquement africain ». La responsabilité occidentale ne semblait en rien engagée dans ce qui apparaissait implicitement comme l’habituelle résurgence de la barbarie nègre dès que les Européens ont tourné le dos.
Bien que nous fussions passablement ignorants de l’histoire du Rwanda au moment des faits, Marie-France Collard et moi-même soupçonnâmes rapidement qu’une telle simplification relevait d’une vision purement aprioriste. La faillite de l’ONU, les vives différences d’appréciation des responsabilités selon les média anglo-saxons, belges et français, et finalement l’opération Turquoise, achevèrent de nous persuader que des intérêts étrangers puissants étaient également en jeu."
Cette double révolte, contre les faits et contre leur traitement médiatique, allait alimenter tout le travail ultérieur.
b) La hantise des questions soulevées par cette double révolte s'exprime en 94/95 dans diverses interventions publiques (par ex. : la performance de Marie-France Collard, La Machine de Vision), mais la décision ferme d'ouvrir un chantier de création sur le génocide des Tutsi du Rwanda est prise en 1996. Celui-ci mène de front, simultanément 3 démarches
- un cycle d'études approfondies sur l'histoire du Rwanda, la question "ethnique", le génocide lui-même. Ceci comprend de nombreuses lectures, des conférences et débats avec des experts invités par le Groupov (Jean-Pierre Chrétien, Luc de Heusch, Colette Braeckman, etc.) et la rencontre de rescapés ou d'Européens témoins des événements.
- 3 voyages d'enquête au Rwanda même (1997 et 1998) dont l'un pendant la période de commémoration nationale.
- un travail d'écriture, de composition musicale, filmique et vidéographique, solitaire et collectif, simultanément au double travail d'étude et d'enquête. Nous voulions "marcher sur 2 jambes" dès le début, c'est-à-dire transcrire en formes ce que nous apprenions et ressentions au fur et à mesure. Quitte à beaucoup jeter, remanier, transformer.
c) L'ensemble de ce processus a donc constitué, sur quatre années un vaste Work in progress. Comme nous en avions finalement déterminé l'objectif en ces termes : Une tentative de réparation symbolique envers les morts à l'usage des vivants, il était essentiel pour nous de vérifier régulièrement que le futur destinataire : le spectateur, nous entendrait clairement et nous suivrait de bout en bout dans le long chemin que le spectacle lui proposait. C'est pourquoi, dès la première année, des étapes furent fixées où nous présentions à un public déterminé un état des matériaux élaborés dans tous les domaines : scénographie, textes, images, musiques, etc. Nous étions ensuite à l'écoute de toutes les appréciations, remarques, critiques, suggestions qui pouvaient résulter de ces rencontres, nous en débattions scrupuleusement entre nous et reprenions ensuite le chantier général et nos chantiers respectifs. L'ensemble de la gestation était impulsée et coordonnée par Jacques Delcuvellerie (dit le "maître d'oeuvre"), assisté de Mathias Simons metteur en scène associé. Ces publics, d'abord restreints, quelques dizaines d'amis, de rescapés, de producteurs, s'élargissant de plus en plus jusqu'à 3 présentations, en janvier 1999, de 5 heures de matériaux au Théâtre de la Place, salle d'environ 500 personnes, puis, en dernière étape du Work in progress, les représentations (5 heures à nouveau) à l'invitation de Bernard Faivre d'Arcier au Festival d'Avignon, juillet 1999. Suite à celles-ci, le Work in progress, connut encore de profondes modifications, jusqu'à la création en mars/avril 2000 (Théâtre de la Place, Liège - Théâtre National, Bruxelles). A signaler : une particularité de cette période des répétitions finales. Reprenant une pratique expérimentée lors de la mise en scène de La Mère, l'équipe artistique a édité un journal hebdomadaire interne intitulé Igicaniro (mot désignant un feu sacré dans l'ancienne culture rwandaise). Comme pour La Mère, on y trouvait généralement un article du maître d'oeuvre, formant une sorte de feuilleton dramaturgique : Le chemin du sens. De nombreux artistes de la troupe y contribuaient régulièrement, en particulier Dorcy Rugamba, Francine Landrain, Daniel Hicter.
d) Le spectacle connaît alors une tournée internationale d'envergure, suspendue en 2003 pour des raisons financières : le Ministère de Culture n'honorant pas cette année-là son engagement formel à soutenir Rwanda 94 à l'étranger. Pendant les 5 années effectives de la tournée, il faut distinguer tout spécialement celles liées à la 10ème commémoration du génocide (2004). L'une, au Rwanda même (Butare, Kigali, Bisesero) donnera lieu au documentaire de Marie-France Collard, Rwanda. À travers nous l'humanité... (diffusé en 2 versions : 1h45 et 2h40). L'autre, parcourera l'Italie (Palerme, Turin, Rome, Milan, Reggio Emilia) et sera récompensée par le Prix de l'Association Nationale des Critiques Italiens pour le meilleur spectacle étranger de la saison 2004-2005. Parmi les autres prix : Prix du Théâtre 2000, Prix de la Recherche de la SACD, Prix Océ, Prix spécial du Syndicat de la Critique française, Prix de l'Académie Québécoise de Théâtre, Coq de Cristal, etc.
e) Les tournées s'achèvent en 2005, par les dernières représentations au lieu même où le spectacle est né : le Théâtre de la Place à Liège. À cette occasion, Marie-France Collard et Patrick Czaplinski enregistrent en multi-caméras l'intégralité du spectacle (5h40, hors entr'actes). Ce film va jouer un rôle très important pour nous, en permettant de prolonger par sa diffusion la mission que nous nous étions impartie (USA, Canada, Japon, France, Portugal, Rwanda, Sénégal, etc). Il fait partie de la vidéothèque de nombreuses universités et autres lieux de formation à travers le monde. Il a aussi servi à animer des rencontres où des membres du Groupov étaient invités à communiquer leur expérience de cette création. Plus tard, ce film sera la pièce maîtresse d'un coffret de 5 DVD comprenant également 3 documentaires (cf. détails plus loin).
Nous en sommes donc arrivés maintenant à ce qui s'est exprimé, publié, réalisé à partir de Rwanda 94. Une tentative de réparation symbolique envers les morts à l'usage des vivants par des membres du Groupov ou des observateurs qualifiés, après sa création. Cette documentation est vaste, en voici une très brève sélection. Elle s'adresse aussi à tous ceux qui veulent en savoir davantage sur le processus du Work in progress au-delà de sa présentation schématique ici même.
Il faut signaler d'abord :
Attention, cette édition est la version de l'oeuvre telle qu'elle était jouée au moment de la création du spectacle. Au fur et à mesure des représentations, il y a eu certaines modifications. en particulier, la conférence Ubwoko située au centre du spectacle a été enrichie et nuancée. Il en existe une version de 2005, que l'on peut trouver sur ce site dans la rubrique "Textes et Publications".
- TEXTES DIVERS :
- Rwanda 94, une tentative : l 'article qui résume très certainement le mieux le processus de création de Rwanda 94 en ce qui concerne la conception, les principes et la gestation.
- Il existe une chronologie précise du Work in progress, étape par étape, sur ce site, dans la "Ligne du Temps", des années 1996 à 2000.
- Le double numéro 67/68 Alternatives Théâtrales : "Rwanda 94. Le théâtre face au génocide / Groupov, récit d'une création" regroupe des textes des membres du Groupov et/ou des interviews de Jean-Marie Piemme, Johan Daenen, Greta Goiris, Garret List ; des contributions d'éminents professeurs tels Philippe Ivernel et Georges Banu ; une lettre de spectatrice au Groupov ; de nombreux documents de travail et notamment des extraits du journal de la création Igicaniro , des photos du spectacle, etc.
- Dans le numéro 76/77 d'Alternatives Théâtrales : Choralité, consacré au travail du Choeur dans la création contemporaine, il faut signaler l'étude extrêmement fine de Martin Mégevand : Face à ce qui se dérobe, la choralité à l'oeuvre dans Rwanda 94, ainsi qu'une réflexion de Jacques Delcuvellerie sur la conception et le traitement de la forme chorale dans Rwanda 94. Ces deux textes se trouvent dans notre livre Sur la limite, vers la fin, celui de Jacques Delcuvellerie, intitulé Le Choeur des Morts, figure dans la rubrique Textes et Publicaitons.
- On trouve également des références significatives et des observations critiques relatives à Rwanda 94. dans diverses publications (et dans l’enseignement) d’Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre, Université Lumière, Lyon 2. Par exemple, paru dans la revue Archipels, Un théâtre documentaire et politique (réflexions à partir de Piscator, Peter Weiss et Rwanda 94)
- Le dernier chapitre du livre de Nancy Delhalle (Vers un Théâtre politique - Belgique francophone 1960/2000 - Bruxelles, le Cri-CIEL, 2007) est entièrement consacré à une analyse de Rwanda 94.
- Sur la question de la transgression des limites de la représentation que peut soulever Rwanda 94, deux articles de Jacques Delcuvellerie, cf. la rubrique "Textes et Publications" sur ce site :
- MUSIQUES
En 2001, en co-production avec Carbone 7, le Groupov a édité un double CD de l'intégralité des musiques de Rwanda 94. Ces disques étaient insérés dans un mini-livre, abondamment illustré (couleurs) et comprenant, en français et en anglais, une introduction et les paroles de tous les chants du spectacle. Cette publication est maintenant épuisée, mais se trouve encore dans des centres de documentation.
- IMAGES
Il comprend :
- l’enregistrement intégral de Rwanda 94. réalisé par Marie-France Collard et Patrick Czaplinski lors des dernières représentations au Théâtre de la Place (Liège) en 2005
- ainsi que trois documentaires :
- Rwanda. A travers nous l’humanité… tourné par Marie-France Collard à l’occasion de la 10ème commémoration du génocide au Rwanda même, où le spectacle était présenté pour la première fois. Il enregistre l’attitude et les réactions du public rwandais (intellectuels et paysans des collines) dans ces circonstances. Il nous met également en relation avec les conditions de vie des rescapés à ce moment-là.
- Bruxelles-Kigali, a été tourné par Marie-France Collard à l’occasion du procès à Bruxelles (novembre 2009) d’un des dirigeants des milices criminelles Hutu, les Interahamwe. Il témoigne en parallèle des émotions et réflexions de survivants et proches de victimes qui se sont portés parties civiles, amenés à croiser régulièrement des Rwandais suspectés de participation à ces massacres.
- Œuvres en chantier. Groupov 20 ans, de Marianne Sluzny et Guy Lejeune (RTBF). Pour ceux qui s'intéressent particulièrement au parcours de la création, le "making of", ce documentaire, comme son nom l'indique, a été réalisé pendant l’une des dernières phases d’élaboration du spectacle. Il filme les répétitions, des réunions et des entretiens, on y découvre les problèmes d’écriture et les artistes au travail, tout cela peu avant la première du spectacle en mars 2000. Le film situe aussi le projet dans le parcours du Groupov depuis sa fondation, 20 ans auparavant.
Le seul titre dit assez à quel point ce projet s’inscrivait pleinement dans la perspective du « Point de vue Global » à l’oeuvre dans cette phase III. Pourtant, il s’est imposé de manière inattendue à partir d’une initiative d’un étudiant sénégalais : Younouss Diallo. Issu du Studio expérimental de recherche pédagogique de Jacques Delcuvellerie, Younouss choisit comme travail de fin d’études de demander à celui-ci de le mettre en scène dans une adaptation de ce pamphlet d’Aimé Césaire. Passant de l’école à la scène professionnelle, ce spectacle fut créé publiquement au Festival de Liège (février 2001). Le Groupov en assurera par la suite la production et la tournée internationale. C’est sur plusieurs continents et dans des lieux de prestige aussi bien que sur des places de village (en Nouvelle Calédonie, par exemple) que cette création sera jouée régulièrement pendant des années, on pourrait dire jusqu’à la disparition prématurée de Younouss Diallo (46 ans, novembre 2014). Il avait connu dans ce périple le rare bonheur d’interpréter ce texte en Martinique, devant son auteur, Aimé Césaire, peu avant le décès de celui-ci. Outre l’intérêt toujours actuel du réquisitoire d’Aimé Césaire, le succès de cette tournée tient aussi à la légèreté de cette production, la plus minimale du Groupov : 1 homme, 1 table, 1 verre d’eau, durée : 1 heure juste. On peut trouver dans notre "Ligne du Temps" l’indication des lieux de représentation de Discours sur le colonialisme . Younouss a été également acteur dans toutes les représentations de Rwanda 94, sans exception. Il est aussi à l’initiative, avec Dorcy Rugamba, de notre création Bloody Niggers ! (cf. plus loin : Phase IV).
Ce vaste projet est mis en chantier pendant l’aventure même de Rwanda 94. Créé au Festival d’Avignon en 2005, peu après les dernières représentations de Rwanda 94, il appartient donc aussi bien, par sa gestation, à la Phase III.
Son titre se réfère ici à une des traductions possibles du mot hébreu HEREM. Dans la Bible Juive (l’Ancien Testament des chrétiens), ce terme s’emploie pour un châtiment divin qui implique l’anéantissement d’un lieu, d’un groupe humain (famille, tribus), voire d’une nation entière. Cette exigence d’éradication peut aller jusqu’à demander la mise à mort, outre celle des humains, des animaux domestiques et l’incendie de toutes les constructions.
Le texte d’Anathème est donc composé exclusivement des passages de la Bible où Dieu extermine lui-même des collectivités humaines, comme un châtiment clairement revendiqué, ou bien exige formellement que son peuple s’en charge (généralement cette demande est assortie de la promesse de l'anéantir lui-même s’ils n’obéit pas), cette menace formelle d’extermination des Hébreux eux-mêmes - et avec tous les détails - revient à de nombreuses reprises.
La prédication chrétienne actuelle (à la différence de celle pratiquée depuis presque 2000 ans) ignore soigneusement tout ce qui a trait à ce Dieu jaloux, vengeur, sanguinaire. La plupart des croyants sont donc inconscients du fait que ces passages de la Bible, totalement explicites, constituent un corpus extrêmement fourni. Le texte de notre spectacle n’en regroupe qu’une partie, et il durait cependant 2h40…
Exemple le plus connu : Dieu charge le roi Saül de la mission suivante contre Amalec, une tribu de nomades édomites.
«Taillez-le en pièces, et détruisez tout ce qui est à lui. Ne lui pardonnez point ; ne désirez rien de ce qui lui appartient, mais tuez tout, depuis l’homme jusqu’à la femme, jusqu’aux petits enfants, et ceux qui sont encore à la mamelle, jusqu’aux bœufs, aux brebis, aux chameaux et aux ânes. » (Rois XV, 3)
On notera : « ne lui pardonnez point » et la précision : « ceux qui sont encore à la mamelle », au cas où : « les petits enfants » aurait pu laisser place à quelque interprétation laxiste. Saül obéit à l’ordre divin, taille en pièces les Amalécites « et fit passer tout le peuple au fil de l’épée » (Rois XV, 7), mais il épargne leur roi, Agaf, et ce qui avait de la valeur dans ses biens. Le prophète Samuel l’apprend de la bouche de Dieu, s’attriste, crie au Seigneur toute la nuit, et admoneste ensuite Saül : « …Il vous a dit : Allez, faites passer au fil de l’épée les Amalécites qui sont des méchants ; combattez contre eux jusqu’à ce que vous ayez tout tué. Pourquoi donc n’avez-vous point écouté la voix du Seigneur ? »
A cause de cette faiblesse, Dieu déchirera en deux le royaume de Saül et donnera sa couronne à David.
Et à preuve que cet aspect du Dieu des Juifs et des chrétiens a été parfaitement reconnu et justifié pendant des siècles, voici un passage d’un auteur dont, jusqu’il y a peu, toutes les familles (croyantes ou non) offraient les oeuvres à leur progéniture : la Comtesse de Ségur. Il s’agit ici de sa Bible d’une Grand-Mère où elle explique le texte sacré à ses propres petits-enfants :
Henriette : Comment le bon Dieu, qui est si bon, est-il si sévère pour tous ces peuples ? Il fait tuer tout le monde, même les petits enfants. Je sais bien que si je faisais ce que fait le bon Dieu, je me trouverais très méchante.
Grand’mère : Chère petite, si tu te souvenais de ce que je vous ai dit il y a peu de temps, tu verrais que le bon Dieu, connaissant les mauvais penchants, les faiblesses du peuple israélite, ne pouvait pas le laisser vivre avec des peuples idolâtres, qui l’auraient entraîné dans l’idolâtrie et l’auraient rendu criminel.
Henriette : Mais les enfants, Grand’mère, les pauvres petits enfants ?
Grand’mère : Je vous ai déjà expliqué que les enfants de ces peuples abominables étaient tous consacrés au démon dès leur naissance ; il n’y avait rien de bon en eux, et c’était une œuvre de miséricorde de leur ôter la vie avant qu’ils puissent la souiller de crimes et adorer le démon en suivant les traces de leurs pères.
Ce dialogue ne figurait pas dans Anathème composé exclusivement d’extraits bibliques. Mais il aide à comprendre pourquoi l’idée d’Anathème participe bien du "Point de vue global" de la Phase III. Parmi les petits-enfants qu’éduque la brave Comtesse de Ségur, certains pourraient peut-être devenir des officiers dans les troupes coloniales… L’Occident impérialiste, génocidaire d’Indiens ou de Tasmaniens, était bien un Occident chrétien. Les damnés de la terre ont été massacrés et esclavagisés par une civilisation croyante et qui légitimise ses actions par les textes sacrés.
C’est pendant le travail de Trash (a lonely Prayer) (1992/1993) qu’a commencé à émerger ce questionnement : le lien possible entre la pratique de l’extermination et la foi religieuse. Ce questionnement s’est activé pendant l’aventure de Rwanda 94, puisque 90% des Rwandais étaient chrétiens pratiquants.
Quelques mauvais esprits ont cru déceler un arrière-plan antisémite à Anathème, ce qui est ridicule. À l’origine, nous n’avions même pas en vue de travailler un jour sur le conflit israélo-palestinien. En revanche, nous voulions donner à réfléchir, en exposant un énorme et irréfutable corpus de paroles divines, à tous ceux qui veulent introduire la métaphysique de l’Absolu dans la gestion des affaires humaines.
Sur le plan artistique,Anathème est une de nos créations les plus radicales, elle se tient sur une limite de la représentation dramatique qui entretient une parenté indéniable avec des pratiques plus proches de la « performance » et des « installations » des arts plastiques que du « théâtre » dans le sens ordinaire. Comme l’acte artistique en question était de grande dimension et, par conséquent, très coûteux, cette radicalité n’a pas aidé à sa diffusion. En effet : 19 acteurs, 3 chanteuses, 1 tromboniste, un musicien d’intervention électronique, 6 choristes/récitants ; si l’on ajoute : metteur en scène, assistant, éclairagiste, directeur technique, etc, cela fait une troupe d’environ 40 personnes à faire voyager, à payer et à héberger. Pour une structure d’accueil c'est très lourd. Le tout exigeant de surcroît un très grand plateau, alors que pendant plus d’une heure, la scène elle-même est vide... À l’exception d’un immense écran où une peinture de paysage (désert) évolue lentement de l’été paradisiaque à un crépuscule infernal, seuls résonnent le verbe divin, les chants, la musique... Ce n'est qu'après ce long temps que paraît en scène le premier être humain.
Sur le plan méthodologique, Anathème a suivi comme Rwanda 94 un processus de gestation progressive (2002/2005) avec présentations publiques du Work in progress (Festival de Liège, 2003, Festival des Francophonies du Limousin, Espace Malraux/Scène Nationale de Chambéry et de Savoie). Un atelier de recherches permanent avec des acteurs, mais avec des sessions épisodiques s’ouvre en 2004. En 2005, une grande représentation-test de l’état du travail est organisé à La Marlagne (Namur), en présence notamment des membres de l’équipe de Jan Fabre, artiste référent du Festival d’Avignon 2005, qui remettent un avis favorable sur le projet. Cependant, à la suite de cette expérience, Jacques Delcuvellerie reprend complètement la 2ème partie du spectacle et en change radicalement la conception, en ce qui concerne la présence des acteurs. Sur les motifs et la nature de cette transformation, on trouvera une explication argumentée en se reportant à "La Ligne du Temps", année 2004.
Cette nouvelle version est présentée en mai 2005 dans les locaux du Conservatoire de Liège/Esact à la nouvelle direction du Festival d’Avignon : Vincent Baudriller et Hortense Archambault. L’invitation est confirmée.
Anathème est créé au Cloître des Célestins en Avignon (juillet 2005) et repris en 2006 au Théâtre National dans le cadre du KunstenFestivaldesArts. Comme la plupart des spectacles de l’édition 2005 d'Avignon, Anathème fera scandale et polémique. Une réception exactement inverse lui sera réservée au KunstFestivaldesArts (standing ovation).
Le projet de monter « La Mouette » tient à deux circonstances, l’une de fond, l’autre d’opportunité.
Sur le plan fondamental, le Groupov entretenait de très longue date une relation exceptionnelle à cette oeuvre de Tchekov. D'abord parce qu’elle met en scène deux générations d’artistes (Nina et Treplev/Arkadina et Trigorine), qui sont également deux « versions » du couple artisanal de base du théâtre occidental : l’auteur et l’acteur (ici, en l’occurence, les actrices...). Mais leurs histoires d’amour croisées et déchirées ne résultent pas seulement, dans cette pièce, de leurs attirances sentimentales et sexuelles, elles sont aussi traversées par une opposition de désir et de vécu artistiques. Et, dans ce conflit, la jeune génération, bien que douée d’un véritable talent, ne semble pas disposer des forces nécessaires à réaliser ses aspirations. Pourquoi ?...
Enfin, le tout se situe dans une époque (1900) qui est à la veille de l’écroulement d’un monde (dans la guerre 14/18), et du surgissement d’un contexte radicalement différent : la Russie Soviétique, dont ils ne pressentent rien, en tout cas consciemment. Vivre dans un temps qui est "à la veille de l'écroulement d'un monde" est un sentiment et une conviction indissociables de l'aventure même du Groupov.
Tout cela, et en particulier : le cri du jeune Constantin Gavrilovitch (Kostia) Treplev : "... des formes nouvelles voilà ce qu’il nous faut, et s’il n’y en a pas, mieux vaut rien du tout...", touchait droit au coeur du Groupov des années 1980 qui, jusqu’à un certain point, identifiait sa propre situation à celle du malheureux Kostia (cf. l’article Constantin Gavrilovitch, 3ème préface du livre de Jacques Delcuvellerie : Sur la limite, vers la fin), et les demoiselles de notre collectif se vivaient bien souvent, en partie, comme des Nina « post-modernes »…
D’où les travaux répétés au Conservatoire sur la pièce de Tchekov, d’où la place centrale de cette « Mouette » comme métaphore productive de notre création-charnière Koniec(genre théâtre) (1987), oeuvre qui commence par la rencontre ultime entre Nina et Treplev, juste avant qu'il ne détruise ses manuscrits et se suicide, et qui s'achève par la reprise de cette même scène mais cette fois jouée en russe et se développe dans une explosion de (re)-lectures affolées de tous les thèmes de cette création (Nina pouvant y être aussi bien Nina Hagen que Lulu, par exemple). Qu’un jour nous soyons amenés à revisiter encore une fois la pièce originale n’avait donc rien d’imprévisible.
Sur le plan circonstanciel, la saison 2005/2006 du Théâtre National allait être la première entièrement programmée par Jean-Louis Colinet, ancien directeur du Théâtre de Liège, et donc son ouverture devait être emblématique de ce nouveau règne. L’idée que Jacques Delcuvellerie et le Groupov inaugurent cette nouvelle ère au Théâtre National avec La Mouette lui convenait tout à fait, dont acte. Nous n’eûmes à ce sujet qu’un seul conflit. Jacques Delcuvellerie voulait un spectacle joué très très près des spectateurs, et parfois au milieu d’eux, dans un espace changeant, et désirait limiter la jauge à 90 personnes. Le directeur exigeait beaucoup plus… Il y eut compromis. Nous ne parlerons pas ici de l’option prise sur la pièce même : elle semblait clairement commencer dans la fin des années 60 (Treplev/Nina auraient pu y être Jean-Luc Godard et Anna Karina), années de grands espoirs et remontait au fil des actes vers 1900, date de la mise en scène historique de Stanislavski. Mais pas pour tous les personnages, et pas au même rythme. Stop.
Dans la Phase III eurent lieu des travaux préparatoires (dramaturgie, scénographie, vidéos, etc.) et des répétitions particulières avec certains acteurs.
E) Théâtre encore :
- Reprise de La Mère (1996) au Théâtre National (Bruxelles) et en France (La Rose des Vents de Villeneuve d'Ascq - mais en fait les représentations eurent lieu à l'Atelier Lyrique de Tourcoing - et au Cargo à Grenoble). A l'occasion des représentations de Grenoble, la distribution enregistre dans le studio son du Cargo, un certain nombre de chants du spectacle dont il sera tiré une cassette.
- UbuLuluStein (ou le metteur en scène en pédagogue) (1997) : une création en mini-triptyque, trois travaux mis en scène par Jacques Delcuvellerie avec les étudiants de son studio de Recherche Pédagogique, en co-production avec le Théâtre de la Place. Le caractère pédagogique de ces représentations se marque notamment par le fait qu'elles illustraient la capacité de nos ex-étudiants à se distinguer dans des dramaturgies complètement différentes.
- Ubu (en fait Ubu Roi d'Alfred JARRY, fondateur de la pataphysique) était mis en scène comme un spectacle forain, avec une scène minuscule mais cernée d'un très haut et très abrupt demi-cercle de gradins en bois pour les spectateurs, le jeu des acteurs relevait du style farcesque, de la pantomime et du théâtre de marionnettes.
- Conversation chez les Stein à propos de Monsieur Goethe absent de Peter Hacks, écriture contemporaine de style para-épique, monologue virtuose pour une comédienne.
- Lulu était un montage de fragments de la pièce expressionniste de Wedekind. Intégralité du prologue, scènes qui évoquent les séductions fatales que Lulu exerce sur hommes et femmes, et final nocturne, sordide et tragique avec la tentative de suicide de la Comtesse von Geschwitz et l'assassinat de Lulu par Jack l'Éventreur.
A l'occasion de ces représentations, publication du deuxième numéro des Cahiers Groupov qui traite de la formation de l'acteur et s'intitule Le Jardinier (... et avec lui la vie d'un homme).
- 3 pièces et un spectacle/performance de Jeanne Dandoy :
- Les États-Unis sont bons (2003) : Work in progress présenté dans la cadre du Festival de Liège comme prémisse à sa future création L'axe du Mal. Spectacle/pamphlet basé sur nombre de citations littérales de la classe dirigeante des USA, portant sur la réalité sanglante de sa politique d'invasion et de conquête menée sur le sol américain, puis sur sa politique impérialiste de domination mondiale.
- L'axe du Mal (2005), création au Théâtre de la Place, amplifie, aiguise et complète le propos de Les États-Unis sont bons, mais en empruntant cette fois la forme d'une fable conduite par des personnages de Lewis Carroll (Alice, le Lapin Blanc, etc) transposés dans le monde actuel, et notamment celui des médias.
- Sweet, (2000), écrite par Jeanne Dandoy qui jouait également le rôle principal dans la pièce, mise en scène de Francine Landrain, au Théâtre les Tanneurs (Bruxelles) et au Théâtre de la Place (Liège).
- Et son spectacle/performance Jane.
Cette oeuvre de Jeanne Dandoy est née aux marges du Groupov et du Studio Expérimental de Recherche Pédagogique de Jacques Delcuvellerie. Elle fut ensuite créée de façon quasi-confidentielle dans des locaux loués par le CRL, rue des Brasseurs à Liège. Les invitations avaient circulé par le bouche à oreille et "l'affichette" : une photo de "Jane" à genoux, de 3/4 dos, en corset, bas noirs et bottines mais visage invisible, et le texte suivant :
JANE
est enfermée le lundi 3 avril 2000 de 18h à 4h
Venez donc lui rendre visite
Textes précieux, états fragiles
Rue des Brasseurs, en face de l'espace "Brasseurs"
*Prévoir de la monnaie
Cette création constitue l'expérience-limite la plus poussée que le Groupov ait réalisée dans sa relation au spectateur. Dans cette espèce de peep-show à la Paris-Texas, avec un environnement très construit, nécessitant deux autres acteurs ( la "tenancière" et le "garde du corps") et une salle d'attente, par un processus de réservation et avec des demandes optionnelles (payantes), Jane n'accueillait qu'un seul visiteur à la fois. La totalité d'une session épuisante, pouvait donc durer toute une nuit. Les six options en vente avaient des tarifs différents, la plus chère était intitulée "Jane". D'autres s'appelaient : "Ce membre sublime" ou encore "Ô Père". Et sans aucun autre renseignement. Les "performances" de Jane dans son réduit intime, séparée de l'unique spectateur par une vitre, variaient nécessairement beaucoup, mais comportaient obligatoirement l'interprétation d'un texte correspondant à l'option payée. Ces textes avaient pour auteurs : La Bienheureuse Angèle de Foligno, Dieu (la Bible), Marie-France Collard (Trash (a lonely prayer)), Sade, Pierre Louÿs... Le sixième texte : Jane avait été écrit par Jeanne Dandoy elle-même. Le spectateur devait ensuite partir. Il lui était possible de revenir plus tard.
Après Liège, Jane a été joué au Théâtre Varia (Bruxelles - avril 2002), La Manufacture (Festival OFF d'Avignon - juillet 2002), Festival Emulation (Liège - novembre 2005), Festival Toernee général (Bruxelles - septembre 2006).
F) Para-Théâtre (1996-avril 2005)
Cette forme artistique va connaître, dans cette phase 3, c’est à dire dans le même temps où nous sommes engagés dans les grandes oeuvres « dramatiques » pré-citées, un développement accru et des variations nouvelles.
Pour simplifier l'évolution complexe des expériences Clairières depuis 1993 sans rentrer dans tous les essais et débats qui l'ont accompagnée, quelques repères essentiels :
* La Clairière initiale, de type 1 (qu'on devrait en fait appeler : le Chemin de la Clairière) gardera globalement sa structure jusqu'aux années 2000.
Rappelons qu’il s’agit d’une traversée de 5 jours et 5 nuits en silence dans un site forestier, avec un encadrement minimal de « guides », et un certain nombre de propositions comportementales. On en sort avec ce qu’on a vécu, et rien d’autre, aucune évaluation (pas de débriefing personnel ou collectif), aucune "oeuvre" à emporter, sinon en soi-même. Des clairières de ce type eurent lieu à Devantave (direction artistique : Jacques Delcuvellerie - voir Ligne du Temps 1997) et à Bagimont, deux fois (direction artistique : Olivier Gourmet - voir ligne du temps 1998)
* Une Clairière dite "didactique" a été réalisée une seule fois (voir année 1998), puis abandonnée comme inadéquate à son objet : former et préparer de nouveaux "guides". Ceci répondait à une double nécessité : l'une, pratique, de pouvoir remplacer d'anciens guides quand ceux-ci n'étaient pas disponibles en raison de leurs propres engagements artistiques ; l'autre, plus fondamentale, de permettre à des participants qui en avaient manifesté les qualités potentielles, de passer à un nouveau stade d'expérience vécue en assumant cette fonction artistique et humaine complexe : guide. En fait, cette transmission s'est bien effectuée au fil des années, mais par une voie beaucoup plus archaïque et non par un bref passage dans une sorte de "stage" didactique. Ainsi, ont été "guides" de Clairière de type 1 (après Olivier Gourmet, Frédéric Neige, Nathalie Mauger et Pietro Varasso), Mathias Simons Nathanaël Harcq, Stéphane Fauville, Benoït Luporsi, Manu Fabre. À noter que dans les années ultérieures, les Clairières accueilleront des participants ne se considérant pas eux-mêmes comme "artistes", voire tout-à-fait extérieurs aux professions de la la culture.
* Une Clairière de type 2, intitulée : Marche Vers La Mer, sera mise en chantier à 2 reprises (voir 1997-1998), à chaque fois dans la région française des Landes. Conçue comme une expérience purement solitaire et pour des "guides" déjà expérimentés, mais pratiquée simultanément par plusieurs "marcheurs" isolés, qui ne devaient se rejoindre finalement, pour une 2ème étape de travail, collectif, qu'une fois arrivés et s'étant retrouvés sur le rivage de l'Atlantique. Dans la phase préalable de traversée solitaire des Landes, chaque marcheur devait accomplir un certain nombre d'actes dont il avait convenu avec Jacques Delcuvellerie auparavant, mais chaque marcheur pouvait décider librement du moment où il les accomplissait et pouvait aussi en modifier les modalités en fonction des circonstances. La 1ère expérience fut tentée par Olivier Gourmet, la 2ème par Pietro Varasso. Ces deux premières expérimentations étant relativement risquées, Laurence GAY résidait à proximité de cette zone et restait joignable pour toute intervention d'urgence, l'usage du portable étant évidemment proscrit en dehors de cette extrémité.
Nous ne pûmes jamais finaliser cette forme, dont ces deux expériences laissaient penser qu'elle serait remarquable, du fait de la sur-occupation du Groupov, dans la phase de création du spectacle Rwanda 94, puis de sa tournée internationale. Les premières idées échangées avec Pietro et Olivier sur ce qui pourrait se célébrer ou s’accomplir collectivement au bord de l’océan laissaient entrevoir un travail où, comme dans les autres types de Clairières, les échanges interpersonnels dialogués seraient exclus mais où le corps et la voix seraient pleinement sollicités dans le rapport aux éléments naturels environnants (eau, sable, vent, ciel, nuit, étoiles, etc.) ou à produire (feu, masque, matières organiques, couleurs…). La voix surtout semblait devoir tenir un rôle essentiel.
2) Soirée performance en interne de plusieurs membres du Groupov et d’amis proches dans une grange en Ardennes à la mémoire d’Arlette Dupont. Le désir de créer quelque chose en référence à cette grande dame qui joua un rôle si important dans l’éclosion de nos jeunes vies d’artistes connaît là sa première expression. On trouvera dans la phase IV davantage d’informations sur le développement de cette intention qui conduira à la création de : In Praise of Arlette Dupont (2009).
3) Film Ouvrières du Monde : en 1996, avec l'asbl Latitudes Production, Marie-France Collard commence un projet de long-métrage documentaire titré "Ouvrières du Monde", voulant mettre en évidence cette "horreur économique" orchestrée par les multinationales qui planifient sur l'échiquier mondial la recherche du profit maximum, broyant ainsi la vie d'ouvriers et d'ouvrières tant dans les pays du Nord que du Sud. Au centre du film : la vie de femmes ouvrières travaillant dans le secteur textile pour une même multinationale, en Occident et dans les pays dits du "Tiers-Monde". De longs mois d'enquête la conduisent en Turquie, en Indonésie et aux Philippines dans une zone franche d'exportation. En 1998, l'entreprise Levi's Strauss annonce des fermetures d'usines dans deux pays européens : en France et en Belgique. Le film suivra tous les moments du conflit où les ouvrières belges et françaises se battent pour le maintien de leur emploi jusqu'au dernier jour, tout en découvrant que ces fermetures traduisaient pour la multinationale la volonté, jusque-là niée, de travailler avec des usines de sous-traitants aux salaires dérisoires. Le film sortira en 2000 et connaîtra une longue vie de diffusions internationales, en télévision, en festivals, en ciné-club, les projections étant généralement suivies d'un débat.
En 2001, le Groupov reprend la gestion des films de Marie-France Collard :
diffusions : Arte, RTBF, RFO, NOS, VRT, TSR, TSI, Planète, ORF, TV5
Certificate of Merit Winner – Festival de San Francisco 97, Input 9, Nominé au Prix de la Découverte – Prix Scam 97.
diffusions : Télé+(Italie), Arte, La 5ème, RTBF, VRT, Beca (Espagne), Multicanal (Espagne), TV5
Edition DVD : dans le coffret « Mondialisation(s) », édité par Ministère des Affaires Étrangères, France
Nominé dans la catégorie Prix documentaire européen 2000 (Prix ARTE dans le cadre de l’Académie Européenne de Cinéma) ; Prix Jean Lods dans le cadre des Grands Prix Scam 2001 (France) ; Prix du Public -11ème Internationale Frauen Film Festival, Cologne (Allemagne), 2002 ; Prix du Public - Festival International Dignité et travail, Gdansk (Pologne), 2004 ; Prix du meilleur documentaire - Festival Images Citoyennes, Liège (Belgique), 2005.
On trouve la liste complète des endroits de projection d'Ouvrières du Monde. au fil des années dans la Ligne du Temps.
4) Concert de l'orchestre et de la troupe de Rwanda 94 au Conservatoire Royal de Musique de Liège, dans le cadre du Festival de Liège, à l'occasion de la sortie du double-cd reprenant les musiques du spectacle
5) À l'invitation de Patrick Le Mauff, Jacques Delcuvellerie, assisté de Younouss Diallo, encadre à Limoges un stage de formation de metteurs en scène africains francophones.
6) Alternatives théâtrales inclut Jacques Delcuvellerie dans son double numéro 70-71, Les Penseurs de l'Enseignement. De Grotowski à Gabily, (Brook, Mnouchkine,Vassiliev, etc.), avec la réédition intégrale de son texte Le Jardinier.
7) Les Afriques, exposition d’art contemporain présentée dans le cadre de "Lille 2004 capitale européenne de la Culture", accueille le travail vidéo de plusieurs artistes, dont celui de Marie-France Collard pour Rwanda 94, dans une installation conçue par Jacques Delcuvellerie.
3. INFRASTRUCTURE ET PRODUCTION : NOUVEAUX MOYENS.
Dans le courant de l'année 1997, le Groupov trouve, loue et occupe le lieu de travail dont il était en recherche. Ce sera : rue Bois-l'Évêque, 26-28 à Liège.
Cette maison, très proche de la gare et de l'autoroute, comprend un assez grand bureau, une petite salle d'archives et de documentation pouvant servir de salle de réunion, une kitchenette et un local occultable assez vaste pour y tenir des répétitions de moyenne envergure, voire d'y accueillir des publics, conformément à la loi, de moins de 50 spectateurs. C'est ainsi, que, notamment, il sera employé pour les représentations de la partie Lulu de UbuLuluStein.
Ce lieu est géré par Laurence Gay, en sus du suivi qu'elle assure de la production du Work in progress de Rwanda 94. Elle sera aidée plus tard dans toutes ces tâches par Claude Fafchamps. Claude devait, comme Laurence, faire partie du groupe du 3ème voyage du Groupov au Rwanda (août 1998) mais une très grave maladie l’empêcha finalement d’y participer. Le compagnonnage avec Claude Fafchamps ne prit cependant pas fin à ce moment. En réalité, il n’a jamais vraiment cessé. Dans toute la carrière qu’il a menée par la suite et les différentes fonctions qu’il a occupées, Claude Fafchamps est resté un ami fidèle du Groupov dont les compétences et l’efficacité nous furent souvent d’une aide précieuse. Et ce, jusqu’à aujourd’hui.
Nous pouvons peut-être profiter de cette mention pour signaler que la position et les moyens du Groupov connaissent en cette période une véritable transformation. Presque 20 ans après sa fondation, il dispose enfin d’un bureau, d’une espace de travail et d’un personnel qualifié pour ce qui concerne son administration et pour la production.
Après les représentations du Work in progress de Rwanda 94 en Avignon (juillet 1999), c'est à Philippe Taszman qu'est confiée la responsabilité de diriger ce secteur. Il sera bientôt rejoint par Françoise Fiocchi et Aurélie Molle. Sans leurs qualités professionnelles et leur dévouement, sans leur étroite complicité et complémentarité, sur tous les fronts, les grandes créations dramatiques «hors normes» de la phase IV, le rayonnement international de Rwanda 94, les pratiques para-théâtrales visibles et invisibles, rien de tout cela n’aurait pu trouver son financement, ses relais diplomatiques, sa logistique complexe, bref, tout ce qui allait permettre au Groupov de passer à un autre niveau d’entreprise culturelle dans la Communauté Wallonie-Bruxelles, et accroître fortement sa visibilité au niveau international.
En 2005, Carole Urbano vient renforcer cette équipe "bureau" du Groupov, et s’y intégrera parfaitement avec la même fidélité et les mêmes capacités dont elle avait déjà témoigné lors de coopérations précédentes.
Nous resterons pendant une douzaine d’années dans ce lieu qui connut l’élaboration de grandes créations, dont Rwanda 94 et Anathème, l’organisation de l’ensemble des activités para-théâtrales et aussi, de plus en plus, l’accueil de jeunes artistes extérieurs, principalement des anciens étudiants de l’Esact, qui purent y travailler à leurs propres projets, gratuitement.
Un de ces accueils fut particulièrement mémorable. Celui de Fabrice Murgia et ses complices de l’époque : Vincent Hennebicq, Emilie Hermans, Laura Sepul, David Murgia, etc. Fabrice travaillait à ce qui allait devenir plus tard : Le Chagrin des Ogres, son premier grand succès national, puis international. Ce fût dans ce lieu du Groupov que Jacques Delcuvellerie amena un jour Jean-Louis Colinet, directeur du Festival de Liège et du Théâtre National, pour assister à une étape de cette recherche, et qui fut séduit au point d’engager une relation durable et féconde avec cette compagnie, Artara. Or, il arriva qu’à la fin d’une de leurs sessions, ces jeunes gens oublièrent en partant de fermer l’électricité et tous les appareils restèrent sous tension... Dans la nuit, un incident éclata qui ravagea complètement notre local, lequel resta indisponible de longs mois.
On aurait tort de voir dans cette triste anecdote une métaphore. Mais il est un fait que l’aide aux jeunes compagnies constitua dans notre phase IV une activité enthousiasmante mais parfois aussi une très lourde charge.
Cette fin de chapitre a anticipé quelque peu sur la phase ultérieure ou, pour clore sur ce sujet, l’élargissement du personnel Groupov permanent et temporaire et la multiplication des tâches rendirent de plus en plus inévitable notre déménagement dans des locaux plus spacieux et plus fonctionnels. Le Festival de Liège nous vint alors en aide en nous proposant un espace dans ses propres installations à la Caserne Fonck, 2, Rue Ransonnet, 4020 Liège. Outre des bureaux et l'accès à des salles de répétition et de réunion, nous pûmes y aménager un studio de numérisation et de montage vidéo (juin 2009).
Enfin, importante transition : dans le cadre de la négociation de son contrat-programme avec le Ministère de la Culture, Jacques Delcuvellerie rédige le 1er septembre 2004, un plan de travail du Groupov pour la période 2005-2010. Dans ce document, est déjà incluse une présentation argumentée (6 pages) d'un prochain et vaste projet : Fare Thee Well Tovaritch Homo Sapiens.. Bien des points de cet argumentaire de 2004 ont été révisés par la suite, mais le fait est que le premier volet de Fare Thee Well Tovaritch Homo Sapiens. : Un Uomo Di Meno sera effectivement créé en fin de cet exercice : 2010.
PHASE IV (mai 2005/2015)
La 4ème phase de la ligne du temps Groupov commence donc en 2005 et développe des thèmes rencontrés dans des phases antérieures, et notamment pendant la gestation de Rwanda 94.
On pourrait l’intituler Du côté des damnés de la terre. Ou, mieux encore, Which side are you on ? La réponse à cette question de l’admirable chanson de grève de Florence Reese trace une ligne de démarcation très nette entre certains artistes du 20ème siècle (aussi divers qu’ils soient, de Maïakovski et Pablo Neruda à Éluard, de Piscator au Living Theatre ou à Jean Vilar, de Picasso et Fernand Léger à Frida Kahlo, de Woody Guthrie à Ernst Busch et Violetta Parra, de Dziga Vertov à Pasolini) et les autres… Tous ceux qui ont estimé qu’elle ne les concernait même pas, ou qui ont clairement répondu qu’ils ne se tenaient pas du côté des damnés de la terre mais de leurs maîtres.
Cette question est déjà clairement posée en 1989 dans la Lettre à celle qui écrit Lulu-Love-Life - Cinq conditions pour travailler dans la vérité, mais elle ne reçoit une véritable réponse qu’avec La Mère (1995). Il se trouve en même temps, mais c’est très important pour nous, qu’avec ce spectacle brechtien, le Groupov opte résolument et pour la première fois pour la grande forme. Ce qui sera notre choix dans de nouvelles créations de la phase IV. Cependant, d’autres de nos productions suivront au contraire la voie minimaliste ouverte par : Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, créé en 2001 mais dont la tournée internationale traverse cette décennie.
La 4ème phase, en son entier, alternera des formes de grande envergure, et des spectacles très légers, presque de guérilla. Elle s’ouvre donc en juillet 2005 au Festival d’Avignon (Cloître des Célestins) par la création d’Anathème. Longue et vaste performance (19 acteurs, 6 choristes récitants, 3 chanteuses, 1 trombone, 1 musicien électronique et une projection picturale évolutive), elle était basée intégralement sur des textes de la Bible (Ancien Testament, pour les chrétiens) où Dieu lui-même, directement, perpètre des génocides, des massacres, ou les ordonne explicitement à ses fidèles, ou en menace et fréquemment en frappe son propre peuple. Ces textes bibliques ont été abondamment utilisés pendant des siècles pour justifier les pratiques criminelles et dévastatrices des conquêtes de l’Occident Chrétien sur toute la planète.
Dans le même esprit, fut ensuite créé Bloody Niggers ! (Dorcy Rugamba, Younouss Diallo, Jacques Delcuvellerie et Pierre Etienne ; vidéo : Jean-François Ravagnan), qui retraverse par la voix même des Damnés de la Terre la sanglante épopée de la conquête du monde par cet Occident impérial et chrétien depuis les croisades jusqu’à aujourd’hui. Voici en quels termes ceux qui signaient ce spectacle le présentaient en 2007 (extrait) :
" (...) nous allons parcourir l’histoire et les débats majeurs de notre époque du point de vue des serfs, des ouvriers, des esclaves, des moujiks, des métèques, des immigrés, des aborigènes, des indiens d’Amérique, des nègres d’Afrique et d’ailleurs, des youpins, des bougnouls,… de tous ceux qui, au cours de l’histoire, ont dû payer de leur sang voire de leur existence la marche forcée du monde.
Le terme « Bloody niggers » n’est pas ici utilisé pour désigner une « race » particulière mais une communauté de destins. Il s’agit de tous ceux qui un jour ou l’autre furent considérés comme une humanité mineure et traités comme telle.
Ce spectacle, basé avant tout sur l’oralité, utilise - de manière pondérée - les autres moyens d’expressions que permet le théâtre, de la musique à la vidéo, du jeu à la danse, de la parole au chant dans un dispositif minimaliste, aisément transportable."
Dorcy Rugamba, Younouss Diallo, Jacques Delcuvellerie.
L’impossible Neutralité de Raven Ruëll et Jacques Delcuvellerie (2015), spectacle né à la suite des bombardements sur Gaza en juillet 2014, fut également entrepris dans la volonté d’une approche rationnelle, d’une mise en perspective d’un témoignage personnel et, au total, d’une offrande lyrique, toujours dans le même esprit d’une tentative de réparation envers les morts, dans le souci et à l’usage des vivants. Il faisait entendre tel quel, par citations littérales, le discours idéologique dominant en Israël à propos des Palestiniens et exposait les pratiques qui en découlent. Seul-en-scène de Raven Ruëll qui y interprète plusieurs personnages, dont lui-même, ce spectacle texte-photos-musique s’ouvre par la prise de parole de Madame Nurit Peled-Elhanan, citoyenne juive israélienne, fille d’un général (du « camp de la paix ») et mère d’une petite fille de 14 ans, Smadar, assassinée dans un attentat-suicide palestinien en 1997. Prix Sakharov de la Paix de l’Union Européenne, Mme Elhanan est co-fondatrice de l’association israélienne et palestinienne des Familles Endeuillées pour la Paix. Militante très engagée, le spectacle s’achève par un autre de ses discours, interprété cette fois par un Raven Ruëll méconnaissable. La mise en scène érige ces paroles terriblement actuelles comme si elles devaient vivre bien au-delà du temps présent, portées par une figure presque spectrale et apparentée à la tragédie antique.
Le Groupov trouve juste et significatif que ce spectacle, qui sera donc sa dernière création publique, ait été consacrée à des opprimés, spoliés, méprisés, insultés et, aujourd’hui, abandonnés de presque tous.
L’impossible Neutralité est créée dans le cadre du Festival de Liège en février 2015 et sera présentée ensuite, en français surtitré néerlandais, au KVS (Bruxelles), durant le Festival Eye on Palestine, en mars 2015, ainsi qu'au Théâtre National (Bruxelles), dans le cadre du Festival des Libertés - en octobre 2015.
En France, à Paris, la Maison des Métallos, intègre 10 représentations du 8 au 20 décembre 2015, durant les semaines thématiques« Palestine… sur le conflit israélo-Palestinien ».
Reprise durant l'année 2016 : en mars, à Charleroi, dans le cadre du Festival KICKS et en avril, sur invitation de Jos Verbiest, la création en néerlandais aura lieu à Kortrijk (Courtrai) au Théâtre Antigone.
En mars 2018, le Théâtre National programme à nouveau
L’impossible Neutralité pour trois représentations (qui deviendront quatre, vu l'affluence) qui seront aussi les dernières. A cette occasion, le journal Le Soir publie un article de Catherine Makereel intitulé : Le Groupov a changé la façon de faire du théâtre en Belgique.
D’autres créations, moins spectaculaires, ont également eu lieu, telle Dirty Week-end, d’après le roman d’Helen Zahavi et - nous y sommes profondément attachés - la conférence musicale de Jacques Delcuvellerie : In Praise of Arlette Dupont. Cette création vint après plusieurs essais préalables. Une soirée performance collective du Groupov dans une grange en Ardennes, dédiée à la mémoire d’Arlette Dupont. Puis, adoptant déjà le dispositif du futur spectacle, deux conférences musicales de Jacques Delcuvellerie pour une cinquantaine d’invités, étudiants de l’Esact, membres du Groupov et nombreux amis ayant connu Arlette.
En fait, Arlette Dupont, qui ne fut pas seulement la très remarquable professeure d'Histoire de Théâtre de Jacques Delcuvellerie à l'INSAS, puis de presque tous les membres fondateurs comme nouveaux du Groupov au Conservatoire de Liège, mais aussi leur initiatrice à "un art de vivre". Elle témoignait par son enseignement mais également par son être même, par le couple qu’elle formait avec Henri Vaume, par toutes ses forces rationnelles aussi bien que par ses excès, de tout ce qui nous avait précédé dans le monde intellectuel comme dans celui de l’art, et, particulièrement, du théâtre, et qui s’était situé du côté des exclus et des «damnés de la terre». Et cela dans une conscience très claire des «ennemis», mais sans aucun sectarisme esthétique, adorant aussi bien L’anthologie de l’humour noir d’André Breton que les facéties langagières des chansons de Bobby Lapointe, la rigueur raffinée de Roland Barthes que les déchirements d’Adamov (dont elle était amie), Arlette était matérialiste dialecticienne de tous les combats et de tous les plaisirs. Quand elle mourut, son mari, Henri Vaume, pria Jacques Delcuvellerie de composer pour ses funérailles une cassette de 90’ qui rassemblerait tout ce qui lui évoquait Arlette musicalement. Il réalisa donc cet enregistrement où l’on retrouvait, bien sûr, Ernst Busch chantant Brecht, Brecht se chantant lui-même, Cathy Berberian chantant Monteverdi puis chantant les Beatles, Frank Zappa and the Mothers of Invention, le Liberation Music Orchestra (Free jazz) de Carla Bley et Charlie Haden improvisant sur les airs de la Guerre d’Espagne, Albert Ayler, Frederic Rzewski, etc.
Plus tard, il apparut à Jacques Delcuvellerie que ce montage introduit et commenté permettrait, si l’on y ajoutait - en direct - quelques éléments (Victor Jara, Billie Holliday, etc.) d’évoquer d’un certain point de vue et d’une manière extrêmement sensible l’histoire du siècle dernier. C’est ce qui constitua la conférence-performance In Praise of Arlette Dupont qui dure 3 heures, sous une photo de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir vendant «La Cause du Peuple» en conversation avec Jean-Luc Godard, et avec un seul accessoire, un électrophone et une pile de disques 33 tours. Sur ces trois heures, la moitié du temps consiste à écouter la bande composée pour les funérailles d’Arlette... et personne ne s’en va. Créée au Festival de Liège (2009), puis joué au Théâtre National, In Praise of Arlette Dupont fut présentée comme le prologue de la future création du Groupov Un Uomo di Meno (Fare thee well Tovaritch Homa Sapiens). Et c’était, croyons-nous à juste titre, car, à réveiller son fantôme par ces chants, c’était tous les drames et les espérances du 20ème siècle que nous traversions.
Vient donc ensuite, cette production majeure de notre 4ème phase, créée au Théâtre National (2010) puis reprise à Liège (2012) : Un Uomo di Meno (Fare thee well Tovaritch Homa Sapiens) soit : Un Homme de Moins (Adieu Camarade Homo Sapiens).
Comme pour Rwanda 94, il s’agit d’un long travail de gestation sur plusieurs années. Nous l'avons signalé, la demande de renouvellement du contrat-programme du Groupov en 2004 comporte déjà une note d'intention de 6 pages sur ce projet. Spectacle fleuve de 7 heures (entr’acte animé inclus) et qui, sur le plan du questionnement comme sur celui de sa dramaturgie, conjugue dans une fresque très structurée les formes les plus diverses, expérimentées par le Groupov dans tout son parcours antérieur depuis 1980. Il revêt un caractère testamentaire sur la traversée du 20ème siècle et le début du 21ème, puisque son personnage central bicéphale (Monsieur Jacques Delui A et Jacques Delui B) né en 1946 mourra nécessairement bientôt.
Accueilli avec enthousiasme et émotion comme un événement d’exception par la presse et les médias, ses coproducteurs institutionnels ne lui permirent pas d’exister au-delà de sa reprise de 2012.
Décision fatale qui préludait à la mise à mort de notre collectif par les pouvoirs politiques et les principales institutions théâtrales.
Il est absolument impossible de résumer les 6 années de travail qui conduisent à la création d'Un Uomo Di Meno. Encore bien davantage que pour Rwanda 94.
D'abord, parce que ce projet global (Fare Thee well Tovaritch Homo Sapiens) était celui d'une tétralogie. Les quatre volets devant être élaborés simultanément mais finalisés successivement sur quatre saisons... Ensuite parce que l'étendue et la complexité des domaines qu'il fallait explorer pour mener à bien les 4 volets de cette tétralogie dépassaient de très loin ce que nous avions du découvrir et tenter de comprendre pour le génocide au Rwanda.
Se confronter à à la problématique de la disparition possible/probable/prochaine du genre Homo Sapiens obligeait à s'informer en profondeur sur l'évolution et la prospective de disciplines scientifiques et d'industries technologiques extrêmement diverses, à ré-étudier toute l'histoire mondiale du 20ème siècle et, notamment, de ses deux guerres planétaires. De se confronter aux théories et aux hypothèses philosophiques et politiques de penseurs qui avaient essayé d'envisager cette même question : émergence, place, rôle et destin de l'Homo Sapiens.
On parlait alors bien peu d'anthropocène, mais cela n'avait pas empêché nombre d'auteurs de penser déjà le phénomène. Nous prêtions une attention toute particulière à ceux qui avaient eux-mêmes opéré des découvertes ou des percées importantes dans divers domaines, tels Jacques Testard, père scientifique du premier bébé par fécondation in vitro (Fivète) en France en 1982 et qui s'est positionné avec fermeté contre les dérives de la PMA (procréation médicalement assistée) : eugénisme, homme augmenté, transhumanisme ; ou Bill Joy, informaticien américain (connu pour avoir développé le système Unix BDS et le langage Java et Jini), auteur d'un texte publié dans Wired en 2000 : Pourquoi le futur n'a pas besoin de nous, sous-titré : Les technologies les plus puissantes du 21ème siècle, le génie génétique, la robotique et les nanotechnologies menacent d'extinction l'espèce humaine. Ces deux-là et bien d'autres estimaient que tout cela, dans le cadre de l'anarchie frénétique de la concurrence et du profit maximum immédiat, conduisait aveuglément à des désastres structurels et irrémédiables pour le genre humain lui-même.
Et naturellement, nous relisions ou découvrions tout ce qui faisait écho à ce questionnement ou tentait d'intervenir dans cette évolution, dans le monde des arts et de la littérature. Où nous retrouvions bien sûr nos vieilles connaissances, Brecht, Pasolini, Debord, mais aussi bien d'autres qui nous étaient moins familiers, tel tout particulièrement Günther Anders et son Obsolescence de l'homme.
Ces deux raisons : l'ampleur du champ de la tétralogie et l'étendue et la complexité des différents domaines impliqués, expliquent pourquoi on ne trouvera pas ici de résumé de nos travaux sur 6 années (surtout de 2006 à 2010) tant dans la démarche d'essayer d'apprendre et de comprendre que dans celle de donner une forme artistique et, en particulier, dramatique, aux questions et aux conclusions de cette immense enquête.
On trouvera cependant des pistes et des traces concrètes de ce processus en se reportant à la "Ligne du temps" sur ce site (années 2006 à 2010). Par exemple, sur la composition des groupes de travail invités à l'élaboration du projet, sur les dossiers dramaturgiques ou documentaires partagés, sur les réunions et les courriers échangés, etc.
Pour donner à imaginer un peu mieux tout ce à quoi pouvait renvoyer de telles enquêtes (et donc tout ce qu'il fallait étudier de près), et à quelles élaborations de fiction dramatique cela pouvait conduire, nous prendrons un seul exemple le 2ème volet de la future tétralogie dont la responsabilité allait être confiée à Marie-France Collard et Claude Schmitz.
Voici comment étaient résumés dans la "Brève du Groupov" (cf. la sous-rubrique "Brèves" dans "Actualités") de mai 2010, ce qu'on pourrait appeler le "cahier des charges" de ce volet et la voie dramatique choisie pour lui donner vie :
Frankenstein, un fantasme légendaire
Au centre de son propre cauchemar, une très frêle jeune fille : Mary Shelley. A ses côtés, convoqués par elle, ses fantômes et ses visions...
L’avancée fulgurante des biotechnologies – dans tous les domaines du vivant (végétal, animal, humain), l’inventaire breveté commercialement du génome de notre espèce, le clonage, la fabrication de « chimères » biologiques, l’ADN fiché dès l’enfance ; résurgence moralisatrice de l’eugénisme ; l’association aujourd’hui possible du vivant et de la matière inerte, grâce à la combinaison de la robotique, du génie génétique et des nanotechnologies, tout cela met « scientifiquement » en œuvre un très vieux fantasme du Sapiens.
Ce fantasme, au début du 19ème siècle, une toute jeune femme, Mary Shelley, lui a donné une forme légendaire : Frankenstein.
Né de la toute puissance de la science, faisant ainsi l’économie du rapport sexuel, le monstre - qui ne sera jamais nommé - est rejeté par celui-là même qui lui donne la vie, Victor Frankenstein. Il décime alors, par déception, par manque d’amour, l’entourage de son créateur.
Imaginé aux bords du Lac Léman, après une nuit d’orage, le roman est aussi le reflet inconscient et prémonitoire de la propre vie de Mary. En l’espace de quelques années, la mort lui ravira trois de ses enfants, sa sœur se suicida et Percy Shelley lui-même périt noyé. Elle a également éprouvé au plus profond de son intimité les exaltations, les désillusions et les naufrages d’esprits exceptionnels qui l’entouraient - Percy, Lord Byron, Claire Clairmont - et qui tentaient de « vivre autrement ». Ils furent saisis de la nécessité de transgresser les valeurs et les tabous de leur temps.
Science, société de la marchandisation
et utopies du romantisme
Il y a quelque chose de cette épopée amoureuse et funèbre qui préfigure les essais utopiques des années 1960-70 en Occident. Le fantasme scientifique, sa mise en œuvre dans les conditions de l’ultralibéralisme économique et idéologique, la diminution et la sclérose intérieures de l’homme-consommateur, se déploient dans ce deuxième volet de Fare Thee Well Tovaritch Homo Sapiens, à travers une évocation onirique, documentaire, biographique et historique.
À lire ces lignes, on peut rêver, c'était au moins notre cas, au spectacle merveilleux que cela aurait pu engendrer... Et cet espoir s'est parfois conforté avec certains choix de la mise en scène, par exemple, de confier les extraits des textes de Byron, Claire Clairmont, Percy et Mary Shelley à des acteurs anglais et dans leur propre langue.
Néanmoins, au final, la création de Mary Mother of Frankenstein fut reçue très froidement par le public et la critique, et surtout, fut vécue comme une déception très amère pour le Groupov. Les deux co-auteurs qui avaient été de proches complices dans toute la phase d’exploration de matériaux littéraires et historiques du thème, ont divergé de plus en plus radicalement au fur et à mesure de la mise en forme du futur spectacle, Marie-France Collard n’y retrouvant pratiquement plus rien de ce qui avait motivé pour le Groupov le recours à la métaphore de Frankenstein : le fantasme scientifique (on peut aujourd’hui faire accoucher une vierge d’un enfant engendré par la semence d’un homme mort depuis longtemps), l’eugénisme, la combinaison de la robotique, de nanotechnologies et du génie génétique, etc, et la mise en oeuvre de tout cela "dans les conditions de l’ultralibéralisme économique et idéologique, la diminution et la sclérose intérieures de l’homme-consommateur."
Le spectacle, sans juger en rien ici de ses choix esthétiques, n’évoque clairement aucune de ces réalités, ni leur interactivité.
On trouvera plus tard, dans la «Ligne du Temps» des considérations plus détaillées sur ce qui ne permit pas davantage de faire aboutir les volets 3 et 4.
Cette impossibilité fut particulièrement douloureuse pour le projet du volet 4 élaboré par Vincent Minne et Armel Roussel. Cet adieu poétique, musical, choral, enfantin, auquel Jacques Delcuvellerie avait d’abord donné le titre Sinfonia (en référence à Luciano Berio) fut, temporairement, baptisé par ses auteurs : «89 fragments pour Fare Thee Well». Énorme et passionnant monument sonore, lyrique, iconique, fruit non seulement d’un labeur considérable mais témoignant dans chacune de ses 72 pages d’une extrême sensibilité. Toutes les indications sonores étaient, entre autres, d’une qualité exceptionnelle. Il se trouvait malheureusement que plusieurs bases conceptuelles de ce monument entraient en totale contradiction avec certaines des convictions les plus profondes de Jacques Delcuvellerie. Or, dans ce projet, à leur demande, celui-ci devait être présent en personne de bout en bout, et devait «jouer» ces idées et les assumer en scène, comme étant les siennes... La plus grave étant l’affirmation presque dès le début (poème de William Blake) en la croyance qu’existe une «autre rive» au-delà de la mort... Et cette vision se développait amplement ensuite, notamment par la voix d’Andréï Tarkovsky jusqu’à un véritable credo théiste. Ce qui nous était réellement impossible à accepter, surtout dans le spectacle conclusif de la tétralogie... Leur projet étant divisé en quatre saisons, la dernière était pour eux... le printemps. Donc, effectivement, la promesse d’une renaissance. Mais les catastrophes diverses et concomitantes que l'humanité est en train de générer à vitesse accélérée ne seront pas les accoucheuses douloureuses d'un renouveau lumineux.
Par ailleurs, un peu comme avec Mary Shelley et Frankenstein, le thème fondamental qui avait été convenu pour ce volet avait été fortement réduit et modifié. Cette musicale et poétique «cérémonie des adieux» ne devait pas se réduire à la célébration de ce qui disparaît dans la mort individuelle ni même à des réalités humaines collectives qui s’effacent, elle devait aussi se référer explicitement à la fin définitive du genre humain, comme tel. L’Homo Sapiens. Non pas la «fin du monde» (il durera encore très longtemps) mais la fin du monde avec Homo Sapiens. Or, tout ce magnifique oratorio se centrait bien davantage sur la fin d’un homme et sur tout ce qui peut entourer celle-ci, et non sur celle de l'espèce en tant que telle.
Dans le 3ème volet avaient été produits des «décalages» et des «ateliers» très intenses, mais dont on voyait mal le rapport avec les matériaux concrets (les plus concrets de toute la tétralogie) qui devaient étayer l’hypothèse de base de celle-ci sur la fin de l’Homo Sapiens. Devant la difficulté de transposer cette grande quantité d’informations, le duo d’auteurs (Jeanne Dandoy et Jean-François Ravagnan) engagea des collaborateurs à l’écriture, à la scénarisation, qui, en fait, désapprouvaient et refusaient donc de mettre réellement en oeuvre la thématique de Fare Thee well Tovaritch Homo Sapiens : la fin possible / probable / prochaine du genre humain.
Cette immense entreprise de la tétralogie ne put donc être conduite jusqu'au bout. Sans doute participait-elle d'un désir utopique irréalisable. (cf. aussi à ce sujet; Viae (critique/autocritique) page 395 à 403 dans Sur la Limite, vers la Fin).
Sur l'échec partiel de ce défi global, Jacques Delcuvellerie s'interroge en ces termes dans une interview :
"Au départ, sur la thématique générale de Fare Thee well Tovaritch Homo Sapiens, le Groupov (au complet : bureau, techniciens, artistes) a réuni à la campagne, pendant plusieurs jours, près d'une trentaine de personnes de toutes disciplines, dont une part importante extérieure au collectif. Par exemple : Jean-Marie Piemme ou Armel Roussel. De ces premiers travaux se dessine un projet en quatre volets. Chacun de ceux-ci développera un aspect spécifique du thème général : la fin possible/probable/prochaine de l’homo sapiens.
En voici la répartition :
1er volet : Fin personnelle d'un individu et fin de l’espèce humaine. Volet à fil biographique dont le personnage naît juste à la fin de la deuxième guerre mondiale et mourra nécessairement au début du XXIe siècle (c’est le volet qui allait engendrer Un Uomo Di Meno).
2er volet : Évocation croisée de :
– la période romantique, vue comme celle où s’exalte l’individualisme le plus exacerbé mais dans la conscience douloureuse, déjà, de la diminution des capacités de cet individu.
– l’éveil et l’extension des grandes aventures scientifiques ayant l’homme pour sujet. Mythe du surhomme ou de l’homme nouveau au-delà du sapiens, pouvant être créé en laboratoire. Début XXIe siècle la génétique, la robotique, les sciences de l’information et les nanotechnologies donnent au rêve du savant fictif Frankenstein une réalité effective.
Cette «évocation croisée» opérant par le truchement de l’auteur de ce mythe précurseur : Mary Shelley. Et avec elle, toute la petite tribu qui dut fuir l’Angleterre (Percy Shelley, Lord Byron, Claire Clairmont, etc.) et se dota de comportements exceptionnels et risqués (ils en moururent tous, sauf elle) qui préfiguraient un peu ceux des années 1960. Années de révoltes et d'utopies qui semblent à leur tour définitivement enterrées.
3ème volet : Évocation jouée et filmée de toutes les réalités présentes dans notre actualité et qui pointent vers cette fin possible/probable/prochaine de l’espèce humaine (crise écologique ; crise économique ; guerres des ressources (l'eau potable, les énergies) ; développement monstrueux du complexe militaro-industriel et des armes nouvelles (cyber-armes, nano-armes, etc.).
4ème volet : Cérémonie des adieux à tout ce qui s’en va. Spectacle poético-documentaire, onirique, musical, choral (chœur d’enfants)...
Ces quatre volets devaient être mis en œuvre et dirigés par des artistes autres que moi-même (le plus jeune avait vingt-cinq ans).
Ces maîtres d’œuvres étaient, par volet :
1) Raven Ruëll
2) Claude Schmitz et Marie-France Collard
3) Jeanne Dandoy et Jean-François Ravagnan
4) Armel Roussel et Vincent Minne
Je restais le directeur artistique,de l'ensemble et je voyais ce rôle avant tout comme celui d’un ouvreur de pistes. Qu’y avait-il de «totalement inconnu», en tout cas pour nous, sur cette voie ? L’expérience de la «création collective», même très vaste, nous l’avions (Rwanda 94 entre autres). Mais celle d’un collectif d’animateurs de collectifs ?... Cela nous n'en savions rien. Ici se jouait le pari que ces différents «visionnaires» accoucheraient librement sur ces thèmes d’une œuvre personnelle (leur «parole singulière»), et cependant que l’initiateur (moi- même) y retrouverait sous ces formes diverses, ses propres convictions profondes...
Je ne sais aujourd’hui si, à d’autres, cela paraît immédiatement insensé ou si, au contraire, on se demande bien pourquoi cela n’a pu aboutir. Même maintenant je ne saurais dire si l’on peut arriver à réussir une telle entreprise. Ce qui m’apparait c’est que, tous, nous avons longtemps joué ce jeu avec le plus grand sérieux, le plus grand engagement et, jusqu’à un certain point, la plus grande complicité. Dans de longs tête-à-tête, dans des échanges épistolaires très denses, des réunions par chantiers expérimentaux et dans de vastes réunions globales... Des ateliers sur plateau et des décalages ont eu lieu. Des rencontres intimes et approfondies (dix jours de vie commune avec Raven Ruëll), etc. Nous avons tous joué le jeu.
Il se peut:
– Soit que l’idée même fut impossible. Qu’il faut être mégalomaniaque ou naïf au dernier degré, pour espérer que des metteurs en scène et des réalisateurs – dont le travail est de créer des mondes à leur image et à leur ressemblance – allaient, par miracle, créer des univers où je me lirais encore mieux que si je les avais écrits moi-même... Il se peut.
– Soit que les différents maîtres d’œuvres n’aient pu aboutir tout en s’accordant à ma vision du thème, pour des raisons spécifiques à chacun d’eux, à ce moment de leur histoire, et non pour une raison générale commune à tous. Il se peut. "
(N.B. L'intégralité de cette interview n'est pas disponible)
Si, maintenant, on s'en tient à la seule oeuvre de cette tétralogie potentielle que nous considérons comme pleinement aboutie : Un Uomo Di Meno (Fare Thee Well Tovarich Homo Sapiens) , elle équivaut environ par son volume et sa durée à quatre spectacles "normaux". On trouvera à la rubrique «Spectacles» le générique complet de cette production, dans sa version de 2010 et 2012. Rappelons aussi que, dans l'impossibilité de rapporter l'ensemble du processus de gestation de cette création on peut quand même s'en faire une idée plus concrète en se rapportant à la Ligne du Temps, années 2007 à 2010 où l'on trouvera trace de la réunion initiale, du contenu des dossiers de documentation, des échanges épistolaires, des ateliers, de la cohabitation en Italie de Raven Ruëll et Jacques Delcuvellerie (2008) et de certains Décalages.
Évoquant ces quatre décennies du Groupov, nous avons souvent parlé de Décalages et nous avons tenté d'en définir le principe dans l'introduction au deuxième chapitre de Sur la limite, vers la fin : Pratiques en souffrance de théorie. Mais nous en avons peu donné d’exemples concrets, renvoyant plutôt à la rubrique «Textes et Publications» avec L’invention d’une méthode pour Trash (a lonely prayer). Nous avons aussi mentionné la réclusion en cage de Francine Landrain et Jacques Delcuvellerie pour Penthy Two. Jusqu’à un certain point, les Clairières s’inscrivent également dans cette catégorie de pratiques groupoviennes extrêmement diversifiée. Avec Fare Thee well Tovaritch Homo Sapiens, plusieurs décalages eurent lieu qui, au fond, s’inspiraient du désir exprimé en 1984 de créer un lieu dont les habitants vivraient ensemble une vie quotidienne (mais évidemment décalée) et en même temps mèneraient en permanence des travaux expérimentaux, individuellement ou collectivement. Non par un mélange flou et anarchique de ces deux types d’activités - il est dangereux et parfois contre- productif artistiquement de perdre complètement cette distinction - mais en générant une dynamique à la fois libre et orchestrée qui ne se contente pas de produire des propositions, mais modifie aussi les êtres humains qui en accouchent.
Dans la phase de gestation d’Un Uomo Di Meno, divers décalages conçus sur ce mode de la vie commune et de l'expérimentation furent organisés. Le plus long et le plus intense d'entre eux a accueilli dans sa journée et sa nuit finales des invités extérieurs : membres du Groupov, amis de la tétralogie, observateurs étrangers (Japon), dont les réactions et les remarques nous furent précieuses. Ce qui différencie Un Uomo Di Meno, sous ce rapport, de nos précédentes créations, c'est que nous reconduisîmes ce type de fonctionnement dans les dernières semaines avant la 1ère avec les artistes impliqués dans cette création et une partie de ses techniciens. Ils ne quittèrent plus le théâtre, ni jour, ni nuit, ils y logeaient, mangeaient, travaillaient, dormaient sur le plateau même. Une journée par semaine, chacun pouvait retourner dans son foyer, puis revenait dans cette vaste «clôture». À un moment donné, fut construite au fond de la scène, une rangée de logettes qui en occupaient toute la largeur. Logettes toutes identiques : 1 lit surélevé, 1 petit bureau sous le lit, avec une lampe et une poubelle. Logettes fermées du côté de la scène - donc du côté visible pour le spectateur lointain - par un rideau de drap blanc écru. Au-dessus de chaque logette, une ampoule nue venant des cintres, toutes ces ampoules à la même hauteur formaient donc une ligne modulable de points lumineux. Sur le côté «extrême cour» du plateau, à la place habituelle des coulisses : une très grande table (pour réunions et repas), une cuisine avec four, frigidaire, évier, cuisinière. Cet espace ne suffisant pas à loger tout le monde, quelques uns habitaient d’autres lieux au Théâtre National. Lequel poursuivait parallèllement son travail quotidien et poursuivait ses horaires normaux. Comme l’oeuvre est restée en cours d’écriture et d’élaboration jusqu’à la veille de la première, c’est un travail complexe de création, de répétitions (y compris très techniques : apprentissage des chants par exemple) et, sous tous ses aspects, de co-existence jour et nuit d’individus singuliers, qui a animé cette phase finale de la gestation d’Un Uomo Di Meno.
Et ce mode de vie a perduré pendant toute la période même des représentations. Après celles-ci, certains spectateurs restaient parfois avec nous un long moment (repas, discussion, sommeil) dans ce lieu où nous avions joué, momentanément «désacralisé» pour un usage plus convivial. Certaines nuits - le spectacle s’achevait à 3 heures du matin - cela pouvait tourner à la fête et à la danse (étrange paradoxe des suites d’une oeuvre foncièrement pessimiste mais construite et jouée avec toute l'énergie euphorisante de l'innamoramento). Ces moments plus festifs cependant se passaient à l’extérieur de la grande salle et du plateau. par exemple, à Bruxelles, au bar du Théâtre National. . et à Liège, dans les cours de la Caserne Fonck.
Pour le spectacle Un Uomo Di Meno lui-même, nous ne pouvons en donner ici qu'un très léger aperçu en livrant quelques informations qui peuvent peut-être en communiquer une sorte "d'avant-goût". Plus tard, nous mettrons à disposition dans la rubrique Textes et Publications de ce site, le tapuscrit intégral de la pièce. La brochure de travail utilisée par les artistes et techniciens lors des représentations, ayant été constamment remaniée, une mise au net générale s'impose avant de la mettre ici à disposition.
Donc, à titre indicatif seulement, on trouvera ci-dessous quelques éléments :
A) La structure globale de l'oeuvre, ses 5 mouvements et les différents tableaux qui les constituent :
I) ICI/MAINTENANT
II) LA MALÉDICTION DES FILS
III) UN SECRET DE FAMILLE
IV) ANGES
V) L'EFFACEMENT
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PREMIER MOUVEMENT : ICI/MAINTENANT.
Tableau 1 : Bonjour Delui
Tableau 2 : Bonjour Fica
Tableau 3 : Adieu Camarade Homo Sapiens (Too Late, Too little)
Tableau 4 : La beauté du crime
Tableau 5 : Bonjour Maman
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DEUXIÈME MOUVEMENT : LA MALÉDICTION DES FILS.
Tableau 1 : Vita Mia, Robin des Bois
Tableau 2 : Vita Mia, Le Diable au corps
Tableau 3 : Blasphème
Tableau 4 : Mejor vivir asì
Tableau 5 : Bonsoir Paul
Tableau 6 : Bonsoir Cousine
Tableau 7 : La jeunesse malheureuse
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TROISIÈME MOUVEMENT : UN SECRET DE FAMILLE.
Tableau 1 : Abattoir.
Tableau 2 : Le Divin marquis.
Tableau 3 : Marchandise.
Tableau 4 : Spectacle (Société du).
Tableau 5 : Humanité.
Tableau 6 : L’Assomption.
Tableau 7 : Impossible à dire.
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QUATRIÈME MOUVEMENT : ANGES
ou la gloire de la Weigel dans la chute
(soirée récréative en 7 tableaux avec chants)
Sept tableaux, non titrés.
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CINQUIÈME MOUVEMENT : L'EFFACEMENT.
B) La liste des éléments musicaux intervenant live ou pré-enregistrés, tout au long du spectacle, suivant point par point la structure globale. :
PREMIER MOUVEMENT : ICI/MAINTENANT.
Tableau 1. : Bonjour Delui
- «Miserere my maker» - chant anonyme 16ème siècle, chanté live sur scène, à 2 reprises
- «The Kids» de Lou Reed, album « Berlin » -
Tableau 2. : Bonjour Fica
- Chant : «Lamento per la morte di Pasolini» de Giovanna Marini (paroles et musique), en partie live sur scène.
- Composition de Jean-Pierre Urbano sur «Libera me», chant liturgique, interprété live sur scène.
Tableau 4. : La Beauté du Crime
- «Musique pour les funérailles de la Reine Mary» - Purcell - mixée avec un chant d’appel du muezzin à la prière, en arabe, document ancien, source introuvable.
- Chant du Muezzin, interprété live sur scène sur l’enregistrement de Purcell «Musique pour les funérailles de la Reine Mary» par John Eliott Gardiner et Gustav Leonhardt Consort
Tableau 5. : Bonjour Maman
- Chanson «Les trois cloches» - paroles et musique : Jean Villard par Edith Piaf et les Compagnons de la Chanson. 1946 - 78 tours Columbia
DEUXIÈME MOUVEMENT : LA MALEDICTION DES FILS.
Tableau 1. Vita Mia - Robin des Bois.
- Chanson «Itsi Bitsi Petit Bikini» - Extrait - interprété par Dario Moreno - Auteurs compositeurs : Paul Vence, Lee Pockriss - version française : André Salvet, Lucien Morisse.
- Extrait «La Gradisca e il Principe» Nino Rota - musique du film «Amarcord» de Fellini
- « Deux petits chaussons de satin blanc » (Extrait) Musique du film « LIME LIGHT » Charlie Chaplin (2x)
- La scène de «La cuisine 1953» comprend deux medley (composition sonore Jean-Pierre Urbano sur une idée de Jacques Delcuvellerie) :
Extraits de chansons et publicités anciennes, tous très courts - Douce France, Etoile des Neiges, Le chien dans la vitrine, Plaisir d’amour, Padam, Les Feuilles mortes, etc...
- Tableau vivant : «La communion solennelle» incorpore un extrait du Psaume 150 mis en musique par César Franck.
- À la fin du tableau : «Subterranean homesick blues» - Paroles, musique, interprétation : Bob Dylan - vidéo extraite du clip ouvrant le film de D.A. Pennebaker, Don’t Look Back.
Tableau 2. Vita Mia. Le Diable au corps.
- «Don’t think twice it’s all right» - Bob Dylan
- «North Country Blues» de et par Bob Dylan, filmé au Festival de Newport, 1963
Tableau 3. «Mejor vivir asi»
- «A Paris, l’est une barbière» - chant traditionnel interprété live.
- «Until it’s time for you to go» - paroles et musique de Buffy Sainte Marie, interprété live - arrangement Jean-Pierre Urbano
- «Es Mejor vivir asi» - chanté live sur l’enregistrement de Compay Segundo (auteur et compositeur) et Martirio
Tableau 5 : Bonsoir Cousine
- «Trois petites notes de musique» - paroles : Henri Colpi, musique : Georges Delerue, interprété live. arrangement Jean-Pierre Urbano
Tableau 6 : La jeunesse malheureuse.
- Chant : Cade l’uliva - chanté live - chant traditionnel italien des ramasseuses d’olives.
-------- Entr’acte. (1/2 heure)
TROISIÈME MOUVEMENT : SADE, UN SECRET DE FAMILLE.
Tableau 2 : Le Divin Marquis
- Introduction de la chanson «All you Need is love» des Beatles (Lennon - Mac Cartney) par les Beatles, montée en boucle par Jean-Pierre Urbano
Tableau 3 : Marchandise
- «Ahora es» de et par le groupe Wisin y Yandel, (soient Juan Luis Morera Luna et Llandel Veguilla Malavé Salazar - WY Records )
Tableau 4 : Spectacle (Société du)
- Montage d’images du monde de Marie-France Collard (Rwanda, Irak, Balkans, Palestine, Sahel, etc.), sonorisé partiellement par la chanson : «I did it again «- par Britney Spears - auteurs : Max Martin, Rami Yacoub
Tableau 6 : L’assomption
- Poème de Pier Paolo Pasolini PPP : extrait de "Une vitalité désespérée", in le recueil accompagnant l'expo du même nom " Avec les armes de la poésie...",p 153, traduction : Jean-Charles Vegliante, Associazonne "Fondo Pasolini",diffusion : La maison des Cultures du Monde, 1984, dit sur une musique qui est un arrangement par Jean-Pierre Urbano (qui en joue également tous les instruments ) de la partie instrumentale d’un morceau du Velvet Underground : «Venus in furs»
Tableau 7 : Impossible à dire
QUATRIÈME MOUVEMENT : ANGES
ou la gloire de la Weigel dans la chute
(Soirée récréative en 7 tableaux avec chants).
Tableau 2.
- Extrait de «At Lawdes deo» de Christopher Tye, interprété par Jordi Savall et l’ensemble Hesperion XX -
- Chant du Choeur des Anges : texte Jacques Delcuvellerie, Musique, Jean-Pierre Urbano.
- Reprise refrain chant 2 du Choeur des Anges - texte Jacques Delcuvellerie, Musique, Jean-Pierre Urbano.
Tableau 3.
Poème chanté live : «Eloge du Communisme», paroles : Bertolt Brecht, musique : Hans Eisler
- Chant extrait de la Mère : «Eloge funèbre pour un camarade fusillé», interprété live, paroles : Bertolt Brecht, musique : Hans Eisler
Tableau 4.
- Chant «L’internationale» (Pottier/Degeyter) - domaine public - par le Choeur des Anges et la Weigel, live.
Tableau 5.
- Extrait 2 de «At Lawdes deo» de Christopher Tye (domaine public), interprété par Jordi Savall et l’ensemble Hesperion XX -
- Danse sur la chanson : «Decades» de Joy Division
Tableau 6.
- Bouffée du chant 3 Choeur des Anges, et le chant des enfants morts (Jacques Delcuvellerie, Jean-Pierre Urbano)
- Chant de l’Enfant et du Choeur des Anges - (Jacques Delcuvellerie, Jean-Pierre Urbano
- Bouffée chant 4 du Choeur des Anges - Le chant des enfants morts (Jacques Delcuvellerie, Jean-Pierre Urbano)
Tableau 7.
- Chant de : «La Moldau», Brecht et Eisler, live
CINQUIÈME MOUVEMENT : L’EFFACEMENT
(tableau muet)
- Éléments de décor sonore - bruits de vents - Jean-Pierre Urbano.
- Musique : «Our prayer» de Albert Ayler -
Bertolt Brecht
Aimé Césaire
Marie-France Collard
Jacques Delcuvellerie /Marie-France Collard
Bob Dylan
Philippe Gavi - Robert Maggiori
Pier Paolo Pasolini
Martin Rees
Sade (Donatien Alphonse François, marquis de Sade)
Frank Wedekind
Bref extrait de l'Evangile selon Saint-Jean (dialogue entre la Vierge Marie et Jésus aux Noces de Cana)
Personnes interviewées intervenant dans le Tableau 3 : Adieu camarade Homo Sapiens (Too late, too little) du premier mouvement :
Hubert Reeves
James Lovelock
Lester Brown
Gwynne Dyer
Yves Paccalet
Yves Cochet
Bill Joy
Hugo de Garis
Jim Thomas
Jean-Pierre Dupuis
D) Enfin, toujours à titre d’avant-goût, nous donnons ici le texte intégral du 1er tableau (Bonjour Delui) du Premier Mouvement (ICI/MAINTENANT), inséré dans un descriptif de la scénographie, du son et des actions accompagnant l'interprétation de ce texte. Suivi d'un court fragment du deuxième tableau qui y enchaînait (Bonjour Fica).
On peut également consulter la rubrique "Galerie" de ce site pour découvrir quelques photos du spectacle.
Un Uomo Di Meno (Fare Thee Well Tovarich Homo Sapiens)
PREMIER MOUVEMENT
ICI/MAINTENANT
Tableau 1 : Bonjour Delui
Le spectateur ne voit rien du grand plateau du théâtre, car il est entièrement masqué par un immense écran gris très foncé. Mais il voit devant cet écran un proscénium aussi large que la scène elle-même et qui s'avance persque à toucher le premier rang du public. Sur l’écran est projeté le titre : Un Uomo Di Meno (Fare Thee Well Tovaritch Homo Sapiens).
Une partie des spectateurs distingue cependant, dans l'obscurité, sur le côté extrême cour (normalement la coulisse) une grande table faiblement éclairée, fleurs et bougies, et 6 personnes de part et d’autre (5 acteurs et 1 technicien). Puis, un peu plus tard, s'y assied avec eux Jacques Delui B (Jacques Delcuvellerie). Tous calmes mais non pas figés.
Pendant l’installation des derniers spectateurs, Jacques Delui B entre en scène, pantalon noir, chemise noire, grand livre de la pièce sous le bras. Il s’installe à sa petite table, côté cour avancé du proscénium, ouvre le grand livre et se sert un verre d’eau (seul accessoire). L’écran affiche maintenant, sous le titre déjà présent : Premier mouvement : Ici/Maintenant.
La lumière baisse dans la salle, noir, un temps. Dans le peu de lumière sur le proscénium, entre le personnage dit « L’Abbé » (Jean Fürst). Maillot de corps, bras nus, jeans, il porte un haut tabouret noir qu’il pose au centre, un peu en avant de l’écran, et s’assoit dessus. Sur l’écran apparition de : Tableau 1 : Bonjour Delui, et côté cour une photo noir et blanc complètement floue.
L’écran se relève doucement jusqu’à mi-hauteur, s’arrête, puis, sans interruption, commence à redescendre. Pendant ce mouvement vers le haut puis vers le bas, on découvre le grand espace obscur et vide de la scène avec tout au fond la rangée des logettes, chacune ayant une ampoule au-dessus d’elle allumée. Pendant la montée de l’écran, Nursy (Valentine Gérard) est en train d’avancer poussant calmement la chaise roulante d’hôpital où se trouve Jacques Delui A (Alexandre Trocki). Nursy passe sous l’écran descendant qui la frôle presque. Elle s’arrête sur le proscénium un peu en avant de l’écran abaissé jusqu’au sol. Elle va donner un baiser sur la joue à « l’Abbé », revient à la chaise roulante et avance jusqu’à une position exactement symétrique, à jardin, de la table de Delui B.
Nursy est une jeune femme blonde et pulpeuse, dont le genre, la coiffure, le maquillage évoquent clairement les pin-ups des années 1950. Elle porte une petite coiffe d’infirmière et une robe/blouse blanche très ajustée et très courte, deux boutons défaits en décolleté. Souliers haut-talons blancs assortis.
Jacques Delui A est vêtu en noir comme Delui B, ses jambes sont cachées par une couverture de teinte neutre, sa tête est bandée comme après une opération ou un traumatisme crânien.
Nursy s’accroupit dos au public, devant la chaise roulante pour rajuster la couverture, la robe remonte découvrant largement ses fesses. Elle repasse derrière Delui A, petit geste affectueux. Droite, mains derrière le dos, elle ferme les yeux.
Dans le silence total, l’Abbé commence à chanter a capella. Il a une voix très haute et très pure de contre-ténor baroque.
Chant: Miserere my maker. (L’Abbé)
Miserere, my Maker,
O have mercy on me, wretch, strangely distressèd,
Cast down with sin oppressed ;
Mightily vexed to the soul’s bitter anguish,
E’en to the death I languish.
Yet let it please Thee
To hear my ceaseless crying:
Miserere, miserere, miserere
I am dying.
Sur l’écran à jardin : les paroles du chant en anglais, couplet par couplet.
Sur l’écran à cour : la photo est manifestement ancienne (1946). Floue, elle passe très lentement au net pendant le chant : Maman portant le nouveau-né Jacques Delui dans ses bras et lui souriant.
Delui A : calmement au public et le plus simplement possible
Nous sommes aujourd‘hui le… (La date du jour) de l’an…(année en cours). Il est (il regarde sa montre et donne l'heure et les minutes). En cette minute, deux certitudes sont absolues et irréfutables. La première : vous tous, dans cette salle, vous êtes vivants. Moi, sur cette scène, je suis vivant. La seconde : nous mourrons tous dans les années prochaines. Tous.
Son : « The Kids » (Lou Reed, fragment instrumental)
Delui A : Même si ça devrait être, pour vous, dans cinquante ans. Une durée infinitésimale, insignifiante, invisible à l’échelle des galaxies. Pour moi, je me tiens dans le voisinage même de la mort. Elle pousse la porte…. Mais, en cette minute, (Date, heure, minute) de l’an … (année en cours) : nous sommes vivants. Ensemble.
Delui A et B, l’Abbé, Nursy, crient « Maman », avec les enfants de l’extrait de Lou Reed. Fin de la musique.
Delui A et B : Le 26 mars 1946, à 6h45 minutes, je suis né.
Delui A : De cette femme :
Delui A et B : Simone Jason.
Delui A : Un enfant de la libération. Un enfant du plus gigantesque massacre perpétré par l’Homo Sapiens, depuis l’origine de l’espèce.
Chant : Miserere my maker. (L’Abbé. Trois vers, puis Delui B, le chant continue sous son texte.)
Miserere, my Saviour,
I, alas, am for my sins fearfully grievèd,
And cannot be relieved
But by Thy death, which Thou didst suffer for me,
Wherefore I adore Thee.
And do beseech Thee
To hear my ceaseless crying:
Miserere, miserere, miserere. I am dying.
Delui B : (commence au “ But by Thy death…”)
Simone Jason était née le 1er décembre 1919, à Rosendael, département du Nord, France.
Morte à Lille, Nord, le 29 décembre 1960, assassinée. Elle avait été fécondée par son mari,
Delui A et B : Mon père,
Delui B : André, Georges, Jean
Delui A et B : Delui.
Delui A et B : Je m’appelle Jack Delui.
Delui B : André, Georges, Jean, né à Lyon, Rhône, France, le 29 août 1918, mort à Paris, le 31 décembre 1960, pendu.
Fin “Miserere, I am dying”
Delui A : André Delui,
Delui B : Et Simone Jason étaient des gens aimables, aimants et généreux. Ils furent donc de jeunes adultes dans ce monde qui a bombardé, gazé, atomisé, massacré, brûlé vif ses semblables, de la mer de Chine au Sahara, des glaces du Pôle aux îles dorées du Pacifique. Soixante - deux millions de morts
Delui A : Comme il est étrange aujourd’hui, que je suis au bord de l’effacement, de voir non seulement la jeunesse,
Delui A et B : mais ceux de ma propre génération,
Delui A : oublier cette simple, évidente et monstrueuse réalité : nos gentils, nos tendres, nos souriants, nos raisonnables parents, étaient les hommes et les femmes qui, dans leur immense majorité, ont fait, ou laissé faire, cela.
D’Auschwitz à Hiroshima.
Chant : Miserere my maker. (L’Abbé)
Holy Spirit, miserere,
Comfort my distressed soul,
grieved for youth’s folly,
Purge, cleanse and make it holy;
With Thy sweet due of grace and peace inspire me,
Holy I desire Thee.
And strengthen me now
In this, my ceaseless crying:
Miserere, miserere, miserere I am dying.
Delui B : (commence au « Holy I desire Thee »…) Dans le sourire de maman,
Delui A : Maman…
Nursy : Maman…
Delui B : se cache un secret. Si elle l’a fait, ou laissé faire, pourquoi les êtres humains d’aujourd’hui, aimables, tendres, souriants et raisonnables, pourquoi ne le feraient-ils pas à leur tour ?
Fin Miserere … I am dying
Delui A : C’est ici où je suis né, en Occident, et nulle part ailleurs, que s’est levée une première fois, en 1914, la gueule effroyable d’une apocalypse mondiale. Chez les nations les plus développées et qui se donnaient pour les plus avancées, les plus civilisées de l’Histoire.
Oui, dans ce siècle où je suis né, le XXème, par deux fois, les sociétés capitalistes et industrielles, et elles seules, ont provoqué une boucherie impitoyable à l’échelle planétaire. La deuxième à moins de vingt-cinq ans de la première.
Le traumatisme profond de 1914-1918 n’a en rien empêché 1939-1945. En rien.
Son: Lou Reed, enfants, idem.
Delui A et B : Je vais mourir ici, en ce début de XXIème siècle,
Delui A : et je ne vois aucune raison,
Delui B : absolument aucune,
Delui A : de penser que nous ne recommencerons pas.
Delui B : Au contraire.
Delui A et B, l’Abbé, Nursy, crient « Maman », en même temps que les enfants de l’extrait de Lou Reed. Fin de la musique.
Delui A : Le système économique et politique qui régit la planète est plus cupide / insatiable / féroce / irresponsable / qu’il fut jamais.
En même temps qu’énoncés par Delui A s’inscrivent en rouge, sur l’écran et comme peints à la main les mots : cupide, insatiable, féroce, irresponsable.
Tableau 2 : Bonjour Fica.
Sur l’écran : projection du titre du Tableau 2, et à la place de la photo de Maman une photo couleur complètement floue. Elle va passer lentement au net pendant le texte de Nursy. On y découvre progressivement le corps décrit.
Nursy : «Pier Paolo Pasolini était couché sur le ventre, en jeans et maillot de corps, un bras écarté et l’autre sur la poitrine, les cheveux, pétris de sang, lui retombaient sur le front. Les joues habituellement creuses, étaient tendues par une enflure grotesque. Le visage, déformé, était noirci par les hématomes et les blessures. Les mains et les bras étaient meurtris et rouges de sang. Les doigts de la main gauche étaient coupés et fracturés. La mâchoire gauche brisée. L’oreille droite à moitié coupée, la gauche complètement arrachée. Des blessures sur les épaules, la poitrine : avec les marques de pneus de sa voiture. Entre le cou et la nuque, une horrible lacération. Aux testicules, une ecchymose large et profonde. Dix côtes brisées, ainsi que le sternum, le foie lacéré en deux points, le cœur lacéré… ».
Vers la fin du texte de Nursy, bruit d’un grand vent qui se lève, l’écran remonte suffisamment pour qu’on découvre sous la photo du cadavre, le spectre angélique de Pier Paolo Pasolini (Francine Landrain). Élégant costume d’été blanc cassé, tête de porc recouvrant entièrement celle de l'actrice et surmontée d’une auréole de petites lampes électriques, dans le dos : deux petites ailes de fin duvet immaculé. La créature sous l’écran avance d’un pas et tend un peu bras et mains vers le public. On entend alors le Lamento per la morte di Pasolini de et par Giovanna Marini, « l’Abbé » se lève et chante à l’unisson avec elle.
Chant : Lamento per la morte di Pasolini
Persi le forze mie persi l’ingegno
Che la morte m’ha venuta a visitare
E leva le gambe tue da questo regno !
Persi le forze mie persi l’ingegno
Le undici le volte che l’ho visto
Gli vidi in faccia la mia gioventù
Oh cristo me l’hai fatto un bel disgusto
Le undici le volte che l’ho visto
Le undici e un quarto mi sento ferito
Davanti agli occhi ho le mani spezzate
E la lingua mi diceva « è andata è andata »
Le undici e un quarto mi sento ferito
Le undici e mezza mi sento morire
La lingua mi cervaca le parole
E tutto mi diceva che non giova
Le undici e mezza mi sento morire
Mezzanotte m’ho da confessare
Cerco il perdono da la madre mia
E questo è un dovere che ho da fare
Io a mezzanotte m’ho da confessare
Ma quella notte volvevo parlare
La pioggia il fango e l’auto per scappare
Solo a morire lí vicino al mare
Ma io quella notte volevo parlare
Deux actrices venues de leurs logettes au fond, ainsi que Nursy se sont disposées autour de « l’Abbé » comme un petit groupe choral, le chant se poursuit à plusieurs voix.
E non può non può
Può più parlare può più parlare
Non può non può
Può più parlare può più parlare
Non può non può
Non… può più parlare
Persi le forze mie persi l’ingegno
Che la morte m’ha venuta a visitare
E leva le gambe tue da questo regno !
Persi le forze mie persi l’ingegno
Un temps. Le spectre angélique enlève sa tête de porc. On découvre un beau visage ambigu femme/homme.
Spectre angélique de PPP, en souriant : Amen.
(La scène se poursuit... où l’on découvrira notamment pourquoi ce spectre angélique demande qu’on l’appelle : Monsieur Fica, du titre d’un poème de P.P.P. publié après sa mort et consacré au sexe de la femme, en italien populaire : fica, la figue, comme on dirait en français : la chatte.
Monsieur Fica accompagnera d’un bout à l’autre tout le spectacle. Encore dans le mouvement onirique final, c’est lui qui guide Delui A et Maman vers L’EFFACEMENT.)
Notons qu’à la suite de ce spectacle, Valentine Gérard (Nursy) et Alexandre Trocki (Delui A), reçurent respectivement le prix de l’Espoir féminin et le prix du meilleur comédien dans le cadre des Prix de la critique Théâtre-Danse 2009/2010.
L'ARBRE ET LA FORËT.
La très vaste et lourde tâche de l’entreprise de la tétralogie Fare Thee well Tovaritch Homo Sapiens et de la création d’Un Uomo Di Meno ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt de nos activités de cette phase IV (mai 2005/2015). Dans tous les secteurs, cette phase du Groupov fut extrêmement féconde.
Signalons d’abord la publication par Alternatives Théâtrales, du livre de Jacques Delcuvellerie, Sur la limite, vers la fin, sorti en 2012 afin d’être disponible lors de la reprise à Liège d' Un Uomo di Meno (Fare Thee Well Tovaritch Homo Sapiens).
Ses 430 pages contiennent avant tout des textes de réflexion à caractère théorique dont le centre d’intérêt commun peut se résumer au sous-titre de la couverture «Repères sur le théâtre dans la société du spectacle à travers l’aventure du Groupov». Il s’agit très majoritairement d’écrits de Jacques Delcuvellerie, mais on y trouve également des contributions d’autres membre du Groupov, et d’auteurs extérieurs, observateurs perspicaces de notre travail. De nombreuses photos accompagnent ce parcours, dont un port-folio de 17 pages au centre du livre. On trouvera davantage d’informations et le plan de l’ouvrage dans la rubrique «Textes et Publications».
Sur le plan des créations, en sus d’Un Uomo Di Meno et de Mary Mother of Frankenstein, rappelons que la phase IV voit l’aboutissement public des productions dramatiques élaborées pendant la phase III et dont nous avons déjà exposé les motifs et le contenu :
- Anathème, créé en juillet 2005 en Avignon. Nous en avons enregistré les représentations au Théâtre National de Bruxelles (KunsFestivaldesArts). Nous espérons pouvoir éditer dans un double CD avec livret, l’intégrale de cette fresque sonore.
- La Mouette d’Anton Tchekov, présenté d’abord au Théâtre National, puis en tournée en Belgique et en France, et reprise trois années de suite. Le spectacle, capté par nos soins en vidéo, pourrait donner lieu à un film si nous trouvions les moyens nécessaires.
La Mouette a remporté le Prix du meilleur spectacle aux prix du Théâtre pour la saison 2005/2006.
- Elle voit ensuite naître et se réaliser de nouvelles créations déjà mentionnées et détaillées : Bloody Niggers, L’Impossible Neutralité, In Praise of Arlette Dupont, ainsi qu’une création un peu «à part» dans ce parcours : Dirty week-end (d’après le roman d’Helen Zahavi), créée au Festival de Liège, février 2011, puis jouée au Théâtre National, 2012 ;
Il faudrait maintenant y ajouter une longue liste de spectacles dont le Groupov a été producteur ou co-producteur ou qu’il a soutenu artistiquement, financièrement et techniquement. Nous en donnerons de nombreux exemples un peu plus loin.
Mais ceci nous amène à relever que dans cette phase IV, deux phénomènes nouveaux apparaissent ou, existant déjà, prennent une ampleur considérable, inconnue auparavant.
a) D’une part, cette période du Groupov connaît une extension beaucoup plus considérable que dans les phases précédentes des tournées nationales et/ou internationales, et de longue durée. C’est à dire sur plusieurs années. Ce qui n’était jusqu’ici qu’exceptionnel. Et, dans cette phase IV, ce phénomène ne se limite pas aux créations théâtrales. Les films de Marie-France Collard circulent loin et longtemps. Il en va de même pour les invitations de Jacques Delcuvellerie à intervenir dans des colloques qui se multiplient.
b) D'autre part, dès ses origines, le Groupov a exercé une influence marquante sur l’évolution de la pédagogie au CRL (plus tard Esact), sur ses principes, son orientation, sa structuration. Et cela se mettait en oeuvre d’autant mieux, qu’un certain nombre d’enseignants étaient des membres du Groupov, parfois depuis toujours, ou l’avaient été pendant de longues années. Un des effets de cette évolution fut de voir croître la quantité d’étudiants qui ne désiraient pas seulement se vouer à la profession d’acteur, mais aussi développer leurs créations originales et chercher, au sortir de l’école, à les produire, voir pour certains de fonder leur propre «collectif». Cette voie avait déjà été initiée au temps de la fraternelle collaboration de Max Parfondry et Jacques Delcuvellerie à la direction de ce département, en ayant facilité l’accession à l’existence professionnelle de travaux nés dans l’école, ou suscités à l’initiative de cette direction.
Ces ex-étudiants se tournaient naturellement vers les organisations amies qui avaient entouré l’enseignement dont ils étaient issus comme l’asbl Théâtre et Publics et, bien sûr, le Groupov. De ce fait, notre collectif, s’il sentait une véritable nécessité dans tel ou tel de ces projets, une originalité singulière, et assez de volonté et de compétence pour les faire aboutir, leur accordait son soutien de différentes façons. Sur le plan financier et par le prêt de moyens techniques. Mais pas seulement. Notre assistance et notre participation se marquèrent aussi de deux autres façons :
- le responsable de la production du Groupov, Philippe Taszman, les aidait concrètement à se repérer dans la jungle des procédures de subsidiation officielles, à rédiger des dossiers, des budgets, et à reformuler leurs projets d’une manière qui réponde mieux à sa nature propre mais aussi à sa recevabilité par des institutions extérieures.
- le directeur artistique, Jacques Delcuvellerie, se vit fréquemment sollicité dans un rôle nouveau, dit : «oeil extérieur». C’est-à-dire celui à qui on présente à différents moments de sa réalisation l’état du travail en cours, et dont on requiert et discute l’avis, les critiques, les conseils, pour optimiser le développement du projet.
Naturellement, la quantité ou la fréquence de ces aides pouvaient beaucoup varier d’un projet à l’autre, car aucun n’avait exactement ni les mêmes besoins, ni les mêmes demandes.
Cependant cela s'accrut constamment pour finir par devenir un grand secteur à part entière de nos activités. Et qu’on peut bien considérer finalement comme une part importante de notre contribution en matière de «culture active» puisque beaucoup de ces projets aboutirent à une reconnaissance publique. De plus, par leur sujet et leurs intentions, une majorité d’entre eux avait la volonté de provoquer des débats, d’animer des rencontres, de s’inscrire dans des événements thématiques comme il apparaît clairement dans les exemples qui vont suivre.
Voici donc une énumération d’activités du Groupov dans cette phase IV en dehors de ces grandes ou «petites» créations dramatiques. Cette liste n’est pas exhaustive (nous oublions toujours quelque chose) mais déjà très complète. Nous nous permettons de lui donner une certaine extension à un double titre. D’abord, elle témoigne d’un effet de reconnaissance de notre travail (par exemple, la Quinzaine Focus Groupov organisée à Paris par le Centre Wallonie Bruxelles avec la Maison des Métallos). Ensuite, cela permet de mesurer l’investissement du Groupov dans des actions de Culture Active, notamment au Rwanda même, et ceci bien après la fin de l’exploitation du spectacle Rwanda 94.
A considérer cet ensemble, il apparaît clairement que notre collectif dans cette décennie n’est nullement en phase décroissante. C’est exactement le contraire. Les spectacles témoignaient déjà d’une créativité exubérante, la Culture Active décuple ses interventions. Or c’est précisément dans ce moment que va se perpétrer brutalement l’assassinat pur et simple du Groupov.
CO-PRODUCTIONS ET SOUTIENS DE SPECTACLES
- Je ne veux plus manger, création collective de Jeanne Dandoy, Vincent Hennebique, Fabrice Murgia et Diogène Ntarindwa, présentée à la Manufacture/Ecritures contemporaines en Avignon, Festival OFF, en juillet 2005 ;
- Jaz de Koffi Kwabule, mis en scène par Denis Mpunga, avec Carole Karemera et Julie Chemin, présenté au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris (décembre 2005) ;
- Game Over de Jeanne Dandoy, créé au Théâtre National (2007), en tournée l’année suivante. Jeanne Dandoy reçoit le prix de la SACD pour cette création.
- Carte d’identité de Diogène Ntarindwa, dans une mise en scène de Philippe Laurent (Théâtre de Namur, 2007, en tournée en 2008 et 2009, dont des représentations au Rwanda et en Avignon OFF) ;
- Que Faire ?, écriture collective ayant reçu le soutien du Groupov, mise en scène de Sébastien Foucault et Julie Remacle, au Festival de Liège, à l’Ancre à Charleroi (2011), puis à Viry-Châtillon en France ;
- L'Indigène de Kroetz, co-production Groupov (2011), mise en scène de Nathalie Mauger, à la Balsamine (Bruxelles) et à l'Ancre (Charleroi) ;
- Je vous ai compris, de Valérie Gimenez, Sinda Guessab et Samir Guessab, co-production Groupov, présentation d’un Work in Progress en 2011, création en 2012 (Centre Wallonie Bruxelles, Festival des Libertés), tournée en 2013, en Belgique, France, Algérie et Tunisie ;
- Blackbird, du Collectif Impakt, co-production Groupov, texte de David Harrower, avec Jérôme de Falloise et Sarah Lefèvre, création collective de Jérôme de Falloise, Clara Flandroy, Sarah Lefèvre, Wim Lots, Fred Op de Beeck, Raven Ruëll, Manu Savini, Anne-Sophie Sterck & Lara Toussaint, créé en 2013 (Théâtre de Liège, Festival Emulation, en tournée jusqu’en 2016). Blackbird reçoit le Prix du public et Coup de Coeur des jeunes au Festival Emulation 2013 et Jérôme de Falloise, meilleur comédien aux Prix de la critique Théâtre-Danse 2013/2014. ;
- Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu, du collectif Nimis Group, entreprise exemplaire de culture active, co-production Groupov, présentation d’étapes de travail en 2013 et 2015, création en janvier 2016 au Théâtre National (Bruxelles), tournée jusqu’en 2019 ;
- Le signal du Promeneur, du Raoul Collectif (2011), création qui a tourné presque jusqu’à aujourd’hui, en Belgique, France, Europe et au-delà (Chili, Canada, etc.) du Théâtre de la Bastille au Festival d’Avignon et bien d’autres lieux de prestige, ce spectacle a reçu un accueil enthousiaste unanime et collectionné les prix. (Signalons également que Jéröme de Falloise, membre du Raoul Collectf et du Nimis Group appartient également au Groupov et a participé à la création d’Un Uomo di Meno),
- Notre peur de n’être, de Fabrice Murgia, co-production Groupov, avec Jacques Delcuvellerie, comme conseiller artistique, création au Festival d’Avignon, en 2014.
- Relevons enfin l’investissement et le soutien très actif à la grande opération de création et d’animation organisée par Arsenic 2 (Claude Faflchamp) au coeur du bassin métallurgique liégeois, sous le titre : Rêve Général, théâtre, fanfare, choral, films, débats... L’événement dramatique principal était le spectacle Grève 60, mis en scène par Patrick Bebi (membre du Groupov) qui réunissait des étudiants de l’Esact et des comédiens amateurs dans la célébration jouée et chantée de la grève générale de 1960, partie précisément du bassin liégeois et qui prit un caractère presque insurectionnel. Cette création se donnait sous le grand chapiteau d’Arsenic 2 auquel on accédait soit par la route, soit par la Meuse, en bateau depuis le centre de Liège.
LA PRODUCTION ET DIFFUSION DE FILMS
Durant ces années, le Groupov décide d’élargir ses activités à la prise en charge de la production et de la diffusion de films, en lien avec le spectacle Rwanda 94.
- Ce sera, en premier, le documentaire Rwanda, A travers nous l’humanité, tourné au Rwanda en 2004, et projeté en avant-première en décembre 2005 au Cinéma le Parc (Liège) et au Festival de Cinéma d’Attac (Bruxelles).
Il connaîtra ensuite une tournée internationale importante et sera primé : au Second International Film Festival de Nazareth, Israël (2006) : mention spéciale du jury ; aux États-Unis où il reçoit l’Humanitarian Award, au Tiburon International Film Festival. Il participe également à l'exposition "Scénario Catastrophe" au Musée ethnographique à Genève.
- En juillet 2006, le film est projeté au Rwanda, sur les lieux où nous avions joué la pièce Rwanda 94 en 2004 et là où le film a été tourné. Il sera présenté en premier aux rescapés qui ont accepté d’y témoigner puis à un plus large public. Une équipe du Groupov organise cette tournée et des projections suivies de débats se tiendront à Kigali, Butare, Nyamata, Bisesero, Kibuye, ... en collaboration avec les associations de rescapés, le Centre Universitaire des Arts, l’Université Nationale du Rwanda, IBUKA, le Ministère de la Culture du Rwanda.
- Le film de la captation du spectacle Rwanda 94 lui-même, tourné par Marie-France Collard et Patrick Czaplinski en 2005, lors des dernières représentations au Théâtre de la Place à Liège, est produit par le Groupov et Parallèle Production (en co-production RTBF). Présenté en avant-première au Festival de Liège( 2007), avec interviews et diffusion simultanée pour la première édition d'Arte Belgique, il est rediffusé ensuite, par épisodes, à la RTBF. Projection également au Botanique (Bruxelles) dans le cadre du Festival de Cinéma d’Attac.
- En 2009, le Groupov co-produit, avec Cobra Films, Bruxelles-Kigali de Marie-France Collard . tourné à l'occasion du procès en cour d'assise d'un dirigeant des milices Interahamwe Ephrem Nkezabera, présenté en avant-première au Festival Filmer à tout prix (Bruxelles), il est diffusé sur Arte Belgique - RTBF. Le film connaît une tournée internationale et reçoit les prix suivants : Prix MARIO RUSPOLI au 31ème Festival du Film ethnographique Jean Rouch - Paris novembre 2012 ; Prix du documentaire le plus dérangeant - Ramdam Festival - Tournai - janvier 2013 ; Prix Spécial du jury documentaire au 13ème festival Lumières d'Afrique - Besançon - novembre 2013.
- En 2010, en co-production avec les Films du Fleuve, le court-métrage Renaître de Jean-François Ravagnan.
La réalisation du documentaire Résister n’est pas un crime de Marie-France Collard, Foued Bellali, Jérôme Lafont (Prix du jury du Festival des Droits de l’homme, Paris 2010) est également soutenue par le Groupov.
Nous avons déjà signalé le coffret Rwanda 94 dans les réalisations qui prolongent la création théâtrale, mais c’est bien dans la phase IV qu’a lieu sa sortie officielle (octobre 2013) et son usage en terme d’animation. Tout ceci, au départ, s’inscrit dans deux événements importants, à dimension internationale : le FOCUS GROUPOV - THÉÂTRE ET POLITIQUE à Paris et LA XXème COMMÉMORATION DU GÉNOCIDE AU RWANDA
FOCUS GROUPOV - THEÂTRE ET POLITIQUE,
du 1er au 13 octobre, organisé conjointement par le Centre Wallonie-Bruxelles et la Maison des Métallos.
Au programme, au Centre Wallonie-Bruxelles :
La soirée d’ouverture de ce FOCUS en présence de Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard, est l'occasion de présenter le coffret DVD Rwanda 94, suivi de la projection d'un des documentaires qu’il contient : Oeuvres en chantier. Groupov 20ans.
Suivront :
- deux représentations de Discours sur le colonialisme d'Aimé Césaire, avec Younouss Diallo, mise en scène de Jacques Delcuvellerie.
- deux représentations de Bloody Niggers de Dorcy Rugamba, conception et adaptation Younouss Diallo, mise en scène de Jacques Delcuvellerie
- un entretien de Christian Jade avec Jacques Delcuvellerie à propos de son ouvrage Sur la limite, vers la fin, suivi d'une table ronde « Théâtre et Politique » réunissant Valérie Baran (directrice du Tarmac), Souâd Belhaddad (auteur et journaliste), Catherine Boskowitz (metteure en scène), Jacques Delcuvellerie (auteur et metteur en scène), Fabrice Murgia (auteur et metteur en scène), Matéi Visniec (auteur), Animation : Emile Lansman (Emile &Cie).
Le FOCUS se poursuit à la Maison des Métallos avec :
La Cantate de Bisesero constitue la dernière partie de Rwanda 94. Une tentative de réparation symbolique envers les morts à l’usage des vivants créé en 2000 et relate la résistance héroïque des habitants de la région de Kibuye sur les collines de Bisesero où 50.000 Tutsi trouveront une mort atroce, mais pas sans avoir âprement lutté. Le livret se nourrit des témoignages des rescapés collectés par les enquêteurs de Rakiya Omar pour African Rights. Il évoque la résistance des victimes qui demeurent toujours anonymes et sans sépultures. Pris en charge par un chœur de cinq comédiens dans un dispositif simple face au public, il est porté par une partition de Garrett List pour piano, trio à cordes, clarinette et clarinette basse, et deux chanteuses.
- Le dimanche 13 octobre a lieu une journée exceptionnelle avec la projection des quatre premières parties du film du spectacle Rwanda 94, suivie de la représentation live, avec orchestre et choeur, de la cinquième et dernière partie : La Cantate de Bisesero.
- Durant cette période, des affiches des spectacles du Groupov sont exposées dans le foyer du Centre Wallonie-Bruxelles. et une exposition des photos de Véronique Vercheval, prises lors des représentations à Bisesero, en 2004, est proposée dans le hall de la Maison des Métallos et sur la façade, projections des Hommes Debout de Bruce Clarck (cf. plus loin le chapitre Expositions-Installations)
LA XXème COMMÉMORATION DU GÉNOCIDE AU RWANDA
En 2014, dans la cadre de la XXème commémoration du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda, le Groupov propose plusieurs événements en collaboration avec différents partenaires et associations de rescapés. Outre l’usage de son coffret Rwanda 94 dans ces manifestations, il dispose aussi maintenant d’un livre : l’édition en kinyarwanda, réalisée par ses soins, du texte intégral de la pièce Rwanda 94. Une tentative de réparation symbolique envers les morts à l’usage des vivants, dans une traduction de : Uwindekwe P. Rwayitare et Gasana Ndoba, avec l’aide d’Eulade Bwitare et Pacifique Kabalisa.
En mars et avril, le GROUPOV intervient au RWANDA, aux USA, en FRANCE et en BELGIQUE :
- en BELGIQUE : Dans le cadre de l'Afrikafilmfestival, à Leuven, le 8 mars : Présentation du coffret Rwanda 94 et projection du film Rwanda 94 de Marie-France Collard et Patrick Czaplinski.
- Au RWANDA, le 12 avril, à Kigali, Salle Rwanda Revenue Kimihurura, District Gasabo- lors de la XXème commémoration au Rwanda (activité organisée par le Groupov, dans le cadre du Projet Arts et Mémoire, en collaboration avec l’ASBL Umurage)
- Lecture de la Litanie des Questions (3ème partie de la pièce Rwanda 94).
- Présentation par Philippe Taszman et Providence Rwayitare de l’édition en kinyarwanda du texte de la pièce Rwanda 94 .
- Présentation par Philippe Taszman et Providence Rwayitare du Coffret DVD Rwanda 94 réunissant l’ensemble des œuvres filmées du Groupov sur le génocide des Tutsi.
- aux USA, à Milwaukee, le 3 avril - Marquette University, en présence de la réalisatrice et de Martine Beckers, témoin dans le film.
- en FRANCE :
- à Paris, Mémorial de la Shoah, le 13 février, dans le cadre d’une rencontre à l’occasion de la 20ème commémoration, avec Ibuka France, «Le génocide des Tutsi au Rwanda. Premier procès en France». Débat avec Patrick Baudoin (Président de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, France), Michèle Hirsch, avocate des parties civiles présente dans le film, Marcel Kabanda, président d’Ibuka France et Marie-France Collard.
- à Valence, Centre du patrimoine arménien, dans le cadre de l’expositon d’Alexis Cordesse : Rwanda. Blessures d’images, projection au Cinéma d'art et d'essai Le Navire, le 25 mars, en présence de la réalisatrice.
- à Paris, le 24 avril - Maison des Métallos : la projection est suivie d’une projection et rencontre animée par Alia Aun, avocate spécialisée en Droit Pénal International avec lMarie-France Collard, Alain Gauthier du collectif des parties civiles pour le Rwanda en France et Dafroza Mukarumongi, témoin dans le film.
- à Dieulefit, au cinéma Labor, le 31 mai. dans la cadre de la journée de commémoration organisée par l’association Intore za Dieulefit en présence de Marguerite Carbonare, Esther Mujawayo, rencontre après le film avec la réalisatrice.
En octobre, novembre, décembre : en FRANCE, en BELGIQUE, au RWANDA.
- En octobre, à Toulouse, Centre Culturel Alban Minvile, dans le cadre de de la programmation de Mix'Art Myrys, projection en trois parties, rencontre avec Jeanne Uwimbabazi (Vice-présidente de l'association Diaspora Rwandaise de Toulouse), Jacques Delcuvellerie et Dalila Boitaud (fondatrice la compagnie Uz et Coutumes et Metteur en scène de Hagati Yaku) à l’issue de la 3ème partie, les 14, 15 et 16/10/2014.
- En décembre, à l’UPJB (Union des Progressistes Juifs de Belgique), Bruxelles, projection en 2 parties, en présence de Clotilde K. Kabale, Jacques Delcuvellerie, Marie-France Collard. Débat.
- à Paris, La Tour des Dames, en présence de la réalisatrice, le 20/11/2014
- à Limoges, dans le cadre des Francophonies en Limousin, la représentation live La cantate de Bisesero est précédée de la projection des quatre premières parties du film Rwanda 94.
- à Calais, Théâtre Le Channel,
- à Saint-Ouen, à l’Espace 1789. Les représentations sont programmées en partenariat avec l’université Paris Diderot, organisatrice du Colloque International : Rwanda 1994-2014 : Récits, constructions mémorielles et écriture de l’histoire, du 4 au 19 novembre
Dans le cadre de ce colloque :
- la représentation du 14 novembre est suivie d’une rencontre animée par Christian Biet (Université Paris Ouest-Nanterre) avec Jacques Delcuvellerie, Garret List, Carole Karemera et Dorcy Rugamba.
- La représentation du 15 novembre est précédée de la projection des 4 premières parties du film du spectacle Rwanda 94 réalisé en 2005 par Marie-France Collard et Patrick Czaplinski
- deux projections en présence de la réalisatrice Marie-France Collard :
- Bruxelles-Kigali le 4 novembre au cinéma les Trois Luxembourgs à Paris, suivi d’un débat avec la réalisatrice et Michèle Hirsch (avocate, spécialisée en Droit Pénal, inscrite comme conseil de la Cour Pénale Internationale et membre du bureau Pénal International)
- Rwanda 94 : l’intégralité du film du spectacle Rwanda 94 le 8 novembre à Paris Diderot Amphithéâtre Buffon, la séance est précédée d’une introduction de Catherine Coquio (Université Paris Diderot, auteur notamment de Rwanda, le réel et les récits)
Accompagnant les représentations de La Cantate de Bisesero en France, l’installation Les Hommes Debout de Bruce Clarke est présente à l’Espace 1789 à Saint-Ouen les 14 et 15 novembre.
Jacques Delcuvellerie intervient durant le colloque dans la Table Ronde : Le Théâtre Quelle catharsis possible ? Expériences rwandaises, françaises, internationales. Le texte de son intervention : Dans certaines conditions... catharsis/génocide sera publié dans les actes du colloque Rwanda 1994-2014 - Histoires, mémoires et récits.(parution en 2017, aux Presses du Réel).
- Au RWANDA : ARTS ET MÉMOIRE
Initié par Ishyo Arts Centre en collaboration avec les associations : Groupov, Rwanda professional dreamers et Kemit productions et soutenu par l’Union Européenne, l’objectif du projet Arts & Mémoire est de préserver la mémoire du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, encourager le dialogue et participer à la reconstruction du tissu social rwandais à travers différentes formes d’expressions artistiques et culturelles.
Dans ce cadre, d’avril 2014 à décembre 2016, le Groupov a procédé à la diffusion d’oeuvres artistiques traitant du génocide de 1994 auprès d’un large public dans douze districts du Rwanda. Il a organisé en parallèle des rencontres, débats, discussions et ateliers. Basées essentiellement sur les réalisations artistiques du Groupov consacrées au génocide des Tutsi du Rwanda, ces activités ont été organisées à partir de décembre 2014 et en 2015 dans les quatre provinces du Rwanda et dans la Ville de Kigali :
Ville de Kigali : Nyarugenge, Gasabo, Kicukiro
Province Est : Ngoma, Rwamagana
Province Ouest : Rubavu, Karongi,Nyamasheke
Province Nord : Musanze, Rulindo
Province Sud : Muhanga, Huye.
Pour le détail de ces activités, on peut consulter le rapport final Arts et Mémoire d’avril 2014 à décembre 2016 dans la rubrique «Para-Théâtre/Culture Active»
LES COLLOQUES ET ATELIERS
Participations multiples de Jacques Delcuvellerie, Marie-France Collard, Philippe Taszman, Providence Rwayatire à de nombreux colloques en France, à Paris, Lille, Toulouse, aux USA (CalArts et l’Université Milwaukee), au Canada, au Rwanda, au Liban, avec projections des extraits de films et débat.
- Intervention de Marie-France Collard au séminaire Arts in the one world à CalArts (California Institute of the Arts, Los Angeles, 2008), elle y présente son film Rwanda. A travers nous, l'humanité... et participe au débat animé par Jean-Pierre Karegeye .
- Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard participent à la rencontre La guerre - représentations et engagement artistique à l'Espace Culture de l'Université de Lille, avec projection d'extraits de Rwanda 94 et Rwanda. A travers nous, l'humanité...
- A Kigali en juillet 2008, projection du film Rwanda 94 dans le cadre du colloque "Génocide au Rwanda et reconstruction des champs du savoir", participation de Marie-France Collard et de Philippe Taszman et intervention filmée de Jacques Delcuvellerie : La poussière ne s’en va pas d’elle-même.
- Rwanda. A travers nous, l'humanité... est présenté dans des universités américaines (2009) : à l'Université de Columbia ainsi qu'à Mc Alester College à Minneapolis (département de français, programme de droits humains, Global Citizenship, African Studies, histoire et théâtre), débat à l'issue des projections avec Marie-France Collard et Philippe Taszman.
- En juillet 2009, rencontre organisée par Alternatives théâtrales à l'occasion de ses trente ans au Théâtre des Doms à Avignon. Interventions de Jacques Delcuvellerie, Denis Markeau, Krzysztif Warlikowski, Stanislas Nordey et Jan Lauwers.
- Au Rwanda, durant deux années consécutives (2010 et 2011) : mise en place d’ateliers de formation aux techniques de base de régie spectacle dispensée par Philippe Taszman en partenariat avec l'asbl UMURAGE à Kigali,
Des journées d’études ou des séminaires consacrés à Rwanda 94 et au parcours du Groupov sont organisées :
- à l’ESACT, après deux jours de projection du film Rwanda 94 et Rwanda. A travers nous, l'humanité... rencontre et discussion avec des membres de l'équipe ayant participé au spectacle et à son élaboration : Marie-France Collard, Jacques Delcuvellerie, Françoise Fiocchi, Garrett List, Frédéric Op de Beeck, Mathias Simons, Philippe Taszman.
- à l’Université de Liège, avec la projection du DVD (en chantier) Groupov, une trajectoire commenté par Jacques Delcuvellerie et des interventions de avec des interventions de Nancy Delhalle, Georges Banu, Yannic Mancel, Olivier Neveux, David Faroult, Alain Chevalier, Nathanaël Harcq, Françoise Bloch, Francine Landrain, Marie-France Collard, Vincent Minne, Jeanne Dandoy.
- La Japan Association of Theater Directors invite Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard à diriger un workshop à Tokyo (2010), après une présentation de la trajectoire du Groupov au travers de ses créations. A cette occasion, le documentaire de Marie-France Collard Rwanda. A travers nous, l'humanité... et le film Rwanda 94 (sous-titré en japonais) furent projetés. Durant ce séjour s'est également tenu un symposium Theater and Ethics, à Tokyo d'abord, Sapporo ensuite, durant lequel Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard sont intervenus.
- Exposé de Jacques Delcuvellerie : Les arts de la scène, révélateurs de la Société contemporaine ? au colloque Franchir des murs, jeter des ponts : création et expression culturelles au service de la société (2010) organisé par les Facultés universitaires de Namur.
- Paris, intervention de Jacques Delcuvellerie au colloque sous la responsabilité de Georges Banu, Catherine Naugrette et Jean-Pierre Sarrazac "Le geste de témoigner : un dispositif pour le théâtre", (2011) Paris 3, Sorbonne-Nouvelle et Centre d'Etudes Théâtrales de Louvain-la-Neuve.
- Dans le cadre du colloque "Génocide : la transmission des mémoires" organisé en mai 2011 par l'ACFAS à l'Université Bishop à Sherbrooke (Canada), intervention de Philippe Taszman et Providence Rwayitare (productrice exécutive d'Umurage asbl au Rwanda) lors de la journée ayant pour thème "Les tiers porteurs de la mémoire : quelle transmission du génocide par les historiens, chercheurs, enseignants, journalistes, romanciers...?".
- Dans le cadre du Festival Le Printemps de Beyrouth ((2011, Liban), rencontre à l'initiative de Philippe Mourrat, Christine Challas et Gisèle Khoury intitulée "Le théâtre, lieu de parole politique ?", et intervention de Philippe Taszman.
- A l'Université de Lisbonne, intervention de Marie-France Collard et Jacques Delcuvellerie dans le cadre du colloque "Repenser le théâtre / Témoigner l'Histoire / Convoquer les morts"(2011) et projection du documentaire Rwanda. A travers nous, l'humanité...
- A Tampere, Finlande, intervention de Jacques Delcuvellerie au colloque Prospero (2011) ayant pour thème "Utopia and Critical Thinking in Creative Process". Sa prise de parole intitulée : Et cette nostalgie est révolutionnaire... outre les actes du colloque, est présente dans son livre Sur la limite, vers la fin et sur ce site.
- En juin 2015, intervention de Jacques Delcuvellerie dans 2 colloques :
- A l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 : Colloque international organisé par Josette Féral et Louise Poissant : « Corps en scène L'acteur face aux écrans ». Le texte de l’intervention de Jacques Delcuvellerie : Le hiéroglyphe humain tend à s'effacer est paru dans les actes du colloque : L’acteur face aux écrans. Corps en scène, dirigé par Josette Féral. Collection Les voies de l’acteur. Editions L’Entretemps – Paris 2018,
- A l'Université Paris-Sorbonne, Colloque international sous la direction d’Aline Caillet et de Frédéric Pouillaude, « Un art documentaire. Enjeux esthétiques, politiques et éthiques (littérature, arts visuels, photographie, cinéma, théâtre) ». L’intervention de Jacques Delcuvellerie le 5 juin 2015 : Une transgression impérative et pondérée sera publiée dans les actes du colloque : Un art documentaire, Aline Caillet et Frédéric Pouillaude (dir.) aux Presses universitaires de Rennes, publié en 2017 .
EXPOSITIONS-INSTALLATIONS
Le Groupov s’est également investi durant la phase IV dans des expositions et la création d’installations.
- L’exposition L'amour comment ça va ?, la Maison de la Villette (Paris, 2006) présente des extraits de Maîtresses. J'ai un amant se disaient-elles de Marie-France Collard
- Le film Rwanda. A travers nous, l'humanité... est intégré à l’exposition Scénario catastrophe au Musée ethnographique à Genève (2007).
- L’installation Évocations est créée par Marie-France Collard dans le cadre du Festival Voix de Femmes aux Halles de Schaerbeek (octobre et novembre 2005), et reprise au Mamac (Musée d’art Moderne et d’art contemporain) à Liège (2007) ;
- A l’occasion de la tournée au Rwanda du spectacle Rwanda 94, la photographe Véronique Vercheval a accompagné le Groupov. De son travail sur place est née l’exposition : Rwanda 2004 entre mémoire et espoir. Elle fût présentée à Rome, Milan et Reggio Emilia lors de la tournée italienne de Rwanda 94, ainsi qu’au Théâtre de la Place en 2005. A la Maison des Métallos en 2013, Véronique ne retint que les clichés pris à Bisesero.
- Egalement signalé lors du Focus Groupov Théâtre et Politique à Paris, des affiches du Groupov sont exposées au Centre Wallonie Bruxelles.
- Le Groupov s'est associé à Bruce Clarke et à son projet Les Hommes Debout lors de la 20ème commémoration du génocide, en parallèle avec les représentations de La Cantate de Bisesero, Pojections des "Hommes Debout" sur les façades des lieux de représentation ainsi que l'installation de kakemonos géants dans plusieurs villes de Belgique. Durant l’année 2014, les projections et les kakémonos de ces Hommes debout sont installés tant au Rwanda (en partenariat avec les associations de rescapés et la CNLG - Commission Nationale de Lutte contre le Génocide) que dans plusieurs villes à travers le monde (Lausanne, Luxembourg, Genève, Bègles, Paris, Liège, Mons, Bruxelles, Leuven…). Ibuka (Fance, Belgique, Suisse) s'est associé à ce projet. Rappelons que Bruce Clarke a été un des très rares occidentaux à visiter le Rwanda immédiatement après le génocide ‘août 1994). Il a conçu sur place une oeuvre en constante évolution depuis la pose de la première pierre personnalisée du Jardin de la Mémoire (juin 2000). Celui-ci devrait peut-être en compter un jour un million...
En juillet 2015, le Groupov, la plus largement dotée des « compagnies » indépendantes, qui était alors en parfaite santé financière et avait rempli sans contestation les exigences de son contrat-programme, fut amputé d’un seul coup de 60% de ses subventions puis, dans un deuxième temps, privé totalement du reste. Ce cas unique dans l’histoire du théâtre dans cette « Communauté » a envoyé un signal clair à tous : ce type d’aventure et de fonctionnement est révolu. Les compagnies « indépendantes » actuelles ne peuvent d’ailleurs plus aujourd’hui prétendre recevoir des moyens égaux à ceux dont disposait le Groupov. Et de très loin.
Aucun des grands projets du Groupov, même ceux liés au répertoire comme La Mère (25 artistes) ne trouverait maintenant de coproducteur en Belgique francophone. Encore moins s’il s’agit d’une gestation par étapes, Rwanda 94 serait aujourd’hui strictement impossible. Ne parlons même pas des expériences et recherches parathéâtrales.
Le Groupov avait pressenti fortement ce revirement mortel à son égard. Dans sa dernière demande de renouvellement de contrat-programme, Jacques Delcuvellerie avait écrit une introduction intitulée : Qui veut tuer son chien, l’accuse de la rage. Elle décrivait exactement pourquoi et comment le «Pouvoir», c’est-à-dire le ministère de la culture, l’administration et les directions des principaux théâtres institutionnels, s’attaqueraient incessamment à l’existence même du Groupov. Nous n’étions cependant pas préparés à ce que cette mise-à-mort fût si rapide et si impitoyable.
En à peine deux ans, notre asbl fût privée de la totalité de sa dotation, obligée de licencier son personnel, d’abandonner ses locaux, de disperser ou détruire ses biens (matériel technique, bureautique, décors etc, ), et de transférer toutes ses archives à des associations amies : Arsenic 2 et Théâtre et Publics. Tout cela sans que la moindre faute lui ait jamais été imputée officiellement sur le plan financier, contractuel ou artistique...
Nous n’exposerons pas ici les raisons structurelles d’un tel désastre (dont certaines caractéristiques propres à la Communauté Wallonie-Bruxelles) ni les diverses péripéties, notamment juridiques, qui ont ponctué sa mise en oeuvre. Ce feuilleton indigne et misérable dénaturerait par trop ce que cette «Histoire d’un Parcours» tente de communiquer. Nous en donnerons davantage d’éléments, dans la «Ligne du Temps», une fois celle-ci complétée.
Avant d’en venir à ce qui constitue bien, encore et toujours, un projet propre à notre ultime Phase V : Au pied du lit de l’agonisant, les enfants jouent, nous indiquerons maintenant ce qui se rattache encore à la phase IV même si cela se situe après 2015, et que nous pûmes entreprendre malgré tout avec le peu d’argent qui restait en caisse :
- Après les représentations de L’Impossible Neutralitéà Paris (et le tournage de sa captation), celles de Charleroi, Courtrai (création en néerlandais) et les quatre dernières au Théâtre National (également filmées)
- Notre participation à la 25ème commémoration du génocide au Rwanda (2019) grâce à l’accueil de Sylvie Sommen au Théâtre Varia où le Groupov put projeter le film Rwanda 94 et jouer pour les dernières fois La Cantate de Bisesero avec choeur et orchestre, dirigée par Garrett List, peu de temps avant sa mort.
- Le financement des premières étapes de recherches et d’expérimentations d’un projet de Francine Landrain : L’appel de la transe. Les femmes, toujours. Celles, cette fois, qui furent Pythies, Sorcières, Magiciennes, Mystiques, puis finalement «Grandes Hystériques» du temps de Charcot. Dans cette thématique et dans cette approche, éminemment groupovienne, Francine réunit pour l’accompagner une équipe composée au départ de : Edith Bertholet, Marie-France Collard, Pierre Etienne, Valentine Gérard, Sofie Kokaj, Mathilde Lefèvre, Estelle Rullier et Jean-Pierre Urbano. Les difficultés extrêmes rencontrées par le Groupov dans cette période ralentirent fortement les travaux de ce work in progress. Par ailleurs, son évolution interne finit de lui donner la forme d’un duo entre Francine Landrain et Valentine Gérard, avec le concours musical de Jean-Pierre Urbano et avec un titre nouveau : Et je voulais ramper hors de ma peau... Une étape fut présentée avec le dernier soutien financier du Groupov, au Festival de Liège 2019. Celle-ci éveilla, entre autres, l’intérêt d’Isabelle Pousseur (Théâtre Océan Nord, Bruxelles) qui leur proposa un espace de travail libre en son lieu. Une nouvelle session de recherches se tint à l'invitation du Théâtre de l’Ancre, dirigé par Jean-Michel Van den Eyden (Charleroi), à la suite de laquelle furent formulées de sérieuses remises en question. Retardé à cause de l’épidémie Covid19, l’atelier libre Océan Nord se tint en mai 2021, avec cette fois un groupe de musiciens. Suite à la présentation de cette étape, la création du spectacle est programmée dans ce théâtre pour octobre 2021, toujours sous le titre : Et je voulais ramper hors de ma peau...
PHASE V (depuis 2015)
La dernière phase, la phase actuelle du Groupov, a reçu comme nom de code le titre d’un ancien projet de création initié par Jacques Delcuvellerie : Au pied du lit de l’agonisant, les enfants jouent. Esquissé, mais assez précisément, en 1992, ce projet a connu différentes interprétations par la suite, mais n’a jamais été mis en chantier. Il rejoint, à certains égards, un autre ancien projet, celui du Bunker Cathédrale, c’est-à-dire d’un lieu préservé même des retombées d’un conflit nucléaire et/ou désastre écologique total et qui serait à la fois un sanctuaire de traces mais aussi une œuvre en soi. Rêve d’interactions possibles avec d’éventuels explorateurs/visiteurs, terrestres ou non.
Naturellement, cette phase Au pied du lit de l’agonisant, les enfants jouent, si elle se réfère ici à un projet concret de création, peut aussi être lue comme la simple description d’une assignation de fait de toute pratique artistique actuelle de qui que ce soit, sans même en avoir conscience : des enfants en pleine activité ludique, tandis que le Sapiens agonise. C’est-à-dire selon nous : s’autodétruit.
Le lien entre Bunker Cathédrale et Au pied du lit de l’agonisant, les enfants jouent, c’est l’idée d’un lieu, un espace construit, très à l’écart des grandes villes et qu’il faut donc se déplacer pour y accéder puis cheminer encore pour le découvrir et enfin faire en sorte (par quels moyens ? en acquittant quel prix ?) d’y entrer et de vivre son parcours. Dans le cas du lit de l’agonisant et des enfants jouant tout auprès, il avait été imaginé au centre d’une clairière en forêt, comme une très vaste construction oblongue, à la fois légère et très résistante, comme le sont les yourtes mongoles avec des matériaux primaires : bois ou bambou, peaux de bêtes ou tissage grossier. L’intérieur aurait pris une forme apparentée au labyrinthe (mais changeant), avec accueil, visite, cadeaux, films, musiques, rites, repas partagé et conduisant finalement en son centre à une chambre. Celle où repose l’agonisant.
Ce projet, ultime, prolongeant en quelque sorte Un Uomo Di Meno (Fare Thee Well Tovarich Homo Sapiens) n’ayant jamais été concrétisé, son titre est devenu le nom de code de cette cinquième et dernière phase. Ce faisant, il devient métaphorique de l’ensemble de notre parcours. Au fond, nous avons toujours été à la fois ces enfants et l’agonisant lui-même. Retracer cette traversée d’un territoire inconnu et rendre accessible les formes, les débats, les expériences qui l’ont jalonnée constituera désormais notre tâche principale.
Le Groupov dispose de centaines d’heures d’enregistrements vidéographiques de ses travaux. Certains étant eux-mêmes des films sont déjà accessibles. Mais ceux qui témoignent de nos créations vivantes, les « spectacles » ne connaissent que deux réalisations abouties et professionnelles : le film de Rwanda 94 (2005) et celui de Koniec(genre théâtre) (1988). Avec les outils et les budgets nécessaires, beaucoup d’autres pourraient être finalisés dans une forme achevée et d’une qualité technique acceptable. Par exemple : La Mouette (2005/2009), Un Uomo Di Meno (Fare Thee Well Tovarich Homo Sapiens) (2010/2012), L’impossible Neutralité (2015/2018). Anathème (2005) pourrait rapidement être édité sous forme d’un double CD de l’intégralité sonore, textuelle et musicale, du spectacle (2h40), avec un livret illustré. Bien d’autres possibilités existent. Car nous avons également enregistré des brainstormings, des débats, des ateliers, des répétitions, des étapes de travail… La 1ère condition d’existence de cette 5ème phase a été la complète digitalisation de tout ce matériau. C’est aujourd’hui chose largement faite. Reste à lui donner forme et accessibilité.
Par ailleurs, le Groupov dispose également de milliers de traces écrites et d’une vaste iconographie (photos, affiches, etc..). Tout ceci est entreposé au Centre de Documentation de l’association amie Théâtre et Publics où Boris Kirilof s’emploie activement à préserver, classer, puis rendre accessible toutes ces traces. Il existe encore de nombreux documents chez des membres et des anciens membres et collaborateurs du Groupov, qui pourraient être collectés et copiés. Tout ceci constitue un très vaste matériel, source potentielle d’éditions ou d’expositions sous différentes formes.
Au pied du lit de l’agonisant, les enfants jouent pour un moment encore.
(1) Une importante partie en est réunie dans l’ouvrage de Jacques Delcuvellerie : Sur la limite, vers la fin (Repères sur le théâtre dans la société du spectacle à travers l’aventure du Groupov), Ed. Alternatives Théâtrales, 2012.
(2) On trouvera dans les textes de cette époque la justification à ce retour limité et ciblé au répertoire (Brecht et Claudel) dans le cadre de la thématique Vérité
(3) André Cambes, Cahier d'études germaniques 72/2017
(4) De surcroît, pour La Mère, en montant entièrement le spectacle en noir, gris et blanc, tel une photo animée ou un film ancien, la mise en scène rendait à la fois plus étonnante cette actualité d'une pièce des années 30 en même temps qu'elle indiquait que ce qu'elle nous communiquait ne se reproduirait pas exactement sous cette forme.
(5) Marie-France Collard, Paris, Place de Clichy, Septembre 1990 in Sur la limite, vers la fin, page 99
(6) Parmi beaucoup d'autres textes qui en traitent, on trouvera le processus de gestation de Rwanda 94, son choc initial, sa méthodologie, ses étapes, les questions qu'il soulève résumés le plus clairement dans l'article Rwanda 94, une tentative paru initialement dans la revue Europe n°926-927 (2006) et qui figue au chapitre VI du livre Sur la limite, vers la fin.