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Et je voulais ramper hors de ma peau...

Extraits de presse :


 

 


09/10/2021 - Le Soir en ligne

De la vertu des sorcières pour réinventer notre monde

CATHERINE MAKEREEL

Valentine Gérard et Francine Landrain tissent une ode païenne au féminisme et au théâtre.Michel Boermans.
Au festival Mouvements d’altérité de l’Océan Nord, « Et je voulais ramper hors de   ma peau » convoque un théâtre incantatoire, entre la cérémonie vaudou et la tragédie grecque. Ces sorcières   à la puissance invaincue nous extirpent   d’un monde uniformisé pour réenchanter nos lendemains.
 
En d’autres temps, elles auraient fini sur le bûcher de l’Inquisition ou dans le service des « hystériques » du professeur Charcot. Aujourd’hui, portées par une féroce hérédité – Colette, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Catherine Clément, Sarah Kane, Mona Chollet et bien d’autres avocates de ce qu’on appelle aujourd’hui l’éco-féminisme –, Valentine Gérard et Francine Landrain portent leur folie féconde, en toute liberté, sur la scène du Théâtre Océan Nord.
Avec Et je voulais ramper hors de ma peau, ces deux prêtresses contemporaines rendent hommage à celles qui ont défié les injonctions de toutes sortes pour s’extirper du carcan dans lequel on voulait les enfermer, s’arrachant à leur épiderme social pour en inventer un autre. Ce faisant, elles célèbrent aussi les pouvoirs magiques du théâtre, dernier refuge du sang chaud, du risque et de l’imprévisibilité. Forcément, la pièce qu’elle balance ne baigne pas vraiment dans l’eau tiède mais bouillonne plutôt dans un chaudron effervescent, loin des codes cartésiens qui régissent les scènes actuelles. Pendant une heure trente, ces magiciennes rebelles tissent une ode païenne qui semble tenir autant du libertaire Living Théâtre que du très engagé Groupov. C’est d’ailleurs au sein de ce collectif mythique, à l’époque de la création d’ Un uomo di meno, que se sont rencontrées les deux comédiennes. L’une (Valentine Gérard) a 36 ans et l’autre (Francine Landrain) en a 64, mais toutes deux ont vite développé une gémellité poétique, soucieuses de la perte du sensible dans une société obnubilée par la rentabilité, la raison, le profit.
Se soigner collectivement
Sur scène, leurs prédications, furieusement bordéliques, trouvent dans les percussions live de David Costenero une cadence hypnotique. Dans cette cérémonie vaudou qui flirte parfois avec du gros son américain mondialisé à la Sean Paul, les deux chamanes de la scène invoquent les vertus de la transe aussi bien que les bienfaits de leurs lectures, de Raoul Vaneigem à Isabelle Stengers. On pourrait s’effrayer de leur approche incantatoire si un humour salvateur ne perçait régulièrement ces envolées exaltées. En réactualisant la tragédie grecque notamment, les comédiennes tentent l’expérience de la catharsis. Les histoires qu’on se raconte ne servent-elles pas à se soigner ensemble, à se soulager collectivement du poids que l’on porte, à exorciser nos démons ? Dans notre monde anesthésié par le défilé des images, un monde uniformisé où la sorcellerie est à chercher du côté d’un capitalisme qui nous a envoûtés, aliénés, les deux révolutionnaires se raccrochent à notre capacité d’aimer, à la joie, à notre foi en la beauté du monde. On y disserte sur les étoiles, fenêtres sur tant de mystères irrésolus mais désormais invisibles dans un ciel belge pollué par les lumières d’une société qui ne se repose jamais. On y convoque Médée, Demeter ou les Amazones. On y retrouve le chant des oiseaux, aujourd’hui remplacé par le bruit des moteurs. On s’y perd, on s’y réjouit. On résiste ou on succombe. Mais, surtout, on s’y console, rassurée par cette capacité increvable qu’ont les artistes de contrarier la marche forcenée du monde.
                            Jusqu’au 24/10 au Théâtre Océan Nord, Bruxelles.

 
Altérités et féminités

(…) Dans Et je voulais ramper hors de ma peau…, les comédiennes Valentine Gérard et Francine Landrain nous invite à un étrange sabbat de celles qu’on a appelées les sorcières, de ces figures féminines qui ont été mises au bûcher (parfois au sens propre) pour leur différence, leur manière d’être au monde. Celles qu’on a qualifiées de bipolaires, d’hystériques (terme soutenu médicalement dès le XIXème siècle), folles… Dans un puzzle de références, de saynètes, de textes, de transformations, les deux interprètes, accompagnées du musicien David Costenaro, nous donnent à voir et à entendre les « autres » au féminin, les hommes les ayant pour la plupart effacées, mises à la marge. Dans un joyeux bordel, le spectacle nous déstabilise autant qu’il nous rattrape dans son choix de textes particulièrement percutants et poignants, resserrant les boulons de son laboratoire constant en stoppant le trop plein d’énergie par des moments d’arrêt apaisants. A la manière d’une cérémonie chamanique, la performance tient aussi du rite du passage transgénérationnel, une transmission aux filles d’aujourd’hui au point d’orgue magnifique qui nous a pris à la gorge.

NICOLAS NAIZY  - in Le Vif web - 19/10/2021