Koniec (genre théâtre)
Création en juin 1987 au Théâtre de la Place, Liège
KONIEC (genre-théâtre) est la cinquième création du GROUPOV. Auparavant le spectacle devait s’appeler « la cérémonie des adieux », et plus tard « Lehrstück »… Quand on sait où en est la pièce didactique aujourd’hui, on peut supposer là une ironie fervente et désenchantée qui persiste dans la réalisation finale.
KONIEC est le mot qui apparaît à la fin des films polonais.
KONIEC comporte plusieurs scènes et citations de LA MOUETTE de Tchekhov, des restes de Commedia Dell’Arte, des traces des sept années précédentes de travail au GROUPOV.
Pendant cinq ans le GROUPOV a produit des « spectacles » (en tout cas des événements publics) allant de six heures à cinquante-deux minutes. Il y fallait de 30 à 120 personnes selon les événements, payantes ou invitées. Cela se passait dans d’anciens cinémas, des entrepôts, des terrains vagues, des autobus, et même sur une scène, assez souvent.
En ce temps là le thème général du travail était : les restes , c’est-à-dire le présent. L’état d’esprit : la mémoire trouée, la déréliction. L’arme : l’Acteur, lui avant toute chose, dans la singularité essentielle de chacun. Une partie du public estimait qu’il ne s’agissait pas vraiment de théâtre, c’était le cadet de nos soucis. Cependant les membres du GROUPOV gagnaient leur vie au théâtre, à la radio, à la télévision, à l’opéra, plusieurs enseignaient l’art dramatique et l’héritage des classiques au Conservatoire.
Plus tard, il fut question d’une pratique nouvelle sortant réellement de la « représentation », loin des tentatives des années soixante mais sans les ignorer. Notre propre vie et celle des invités de nos spectacles se déroulaient dans la convivialité aimable et fortement perturbée. Nous pensions que la 3ème guerre mondiale était proche et que la courtoisie n’en était que plus urgente.
Plus tard, nous pensions toujours la même chose mais nous n’osions plus en tirer la moindre conclusion.
Plus tard encore, nous tentâmes de nous doter de comportements de facture exceptionnelle. Nous nous essayâmes à devenir de « nouveaux indiens » (Nouvel Indien : un être désapproprié qui dit : Je).
Le spectacle suivant fut l’œuvre d’une des actrices. C’était notre première comédie – Tchekhov dit avoir écrit des « comédies ». L’actrice l’intitula : THE SHOW MUST GO ON… Elle croyait si fortement à son travail qu’elle pensait reconquérir la naïveté et le plaisir immédiat. D’autres acteurs se joignirent à elle pour chanter, parler, jouer, danser presque. Ce fut notre premier grand succès public, en Belgique et à l’étranger. Invitations, festivals, télévisions. L’actrice reçut un prix pour un scénario de cinéma. Cependant l’argent manquait toujours.
Celui qui ne croyait plus au théâtre mais qui croyait, comme l’actrice, aux nouveaux indiens, avait été leur professeur à tous. Le jour solitaire où il se crut incapable de tout, il décida de faire KONIEC. Un dramaturge particulièrement sensible décrivit un jour son travail ainsi : « le deuil impossible ».
Dans LA MOUETTE les quatre rôles principaux – si l’on ose parler ainsi – sont deux écrivains et deux actrices. Il y a des histoires d’amour ordonnées comme suit : les écrivains aiment les actrices. Un écrivain et une actrice ont réussi dans la vie, et les deux autres échouent. Les deux premiers sont plus âgés et les deux autres très jeunes… Dans la pièce la question de savoir qui a du talent et qui n’en a pas n’est pas très claire. Celle de la « réussite » non plus.
Le jeune écrivain de LA MOUETTE qui finit par se suicider a écrit une pièce de théâtre dont nous entendons un fragment. Ce texte est d’une écriture radicalement étrangère au reste de l’œuvre de Tchekhov. Les metteurs en scène et les dramaturges sont très divisés sur la valeur intrinsèque de ce texte : bon ? mauvais ? prometteur mais faible ? génial ? rares sont ceux qui lui accordent une valeur propre. Ce poème dramatique évoque la fin de toute vie dans deux cent mille ans. Tchekhov l’interrompt quand le diable apparaît.
De toutes les possibilités offertes par la tradition, KONIEC ne retient que deux éléments : LA MOUETTE où se mêlent la survie, l’amour, et l’art d’écrire et de jouer sur le théâtre (à ce moment précis d’une société donnée), et des bribes de Commedia Dell’Arte, le seul genre en Occident dont les acteurs soient presque totalement les créateurs.
Depuis Meyerhold et Gordon Craig les recherches théâtrales se sont nourries des fantasmes projetés sur la Commedia Dell’Arte. Cependant le plus beau, et peut-être le plus déchirant, des livres qui tentent de faire le point sur le sujet confesse que nous n’en connaissons à peu près rien et consacre l’essentiel de sa thèse à réfuter les images que nous en avions.
Pendant sept ans le GROUPOV a cru travailler sur l’acteur-créateur. Au début nous définissions la méthode ainsi : « recherche d’une expression personnelle théâtralisée dans sa singularité même ». Nous pensions échapper à l’interprétation et donner des chances à une pratique inaugurale… Tout cela semble aujourd’hui un peu compliqué, mais nous ne sous-estimons pas la valeur d’une illusion fondatrice.
Dans KONIEC il y a des acteurs, un homme qui parle, une petite fille, un pin parasol, trente tonnes de sable, un bureau, beaucoup de musique, un petit plateau de planches vernies, des spectateurs qui mangent, un portrait de Joseph Staline, des fleurs sauvages, la télévision, etc… Ou encore : un Français vivant en Belgique, deux Belges francophones parlant russe, un Bulgare dissident vivant à Bruxelles, un Liégeois vivant à Paris, un vidéaste Flamand parlant bruxellois… Et ainsi de suite.
Jacques DELCUVELLERIE avril 1987